Être un apothicaire sans sucre [ètr ûn- apòtikèr sâ sykr]

Être un apothicaire sans sucre

Fig. A. Apothicaire et ses remèdes au sucre.

[ètr ûn- apòtikèr sâ sykr] (loc. pharm. COMMER.)
C‘est en 1241 que naît officiellement la profession d’apothicaire par la volonté avant-gardiste de Frédéric II, empereur du Saint-Empire, qui signe l’édit de Salerne. Dès lors, médecins et apothicaires exercent chacun de leur côté leur science savante.

La première apothicairerie ouvre en Avignon un an plus tard (1242) et il faut encore attendre une trentaine d’années pour voir une à Paris.

Pendant un siècle c’est le grand binz de l’onguent qui soulage et de la poudre qui guérit, le moindre camelot se prévalant de savoir les préparer. Charles VIII se fâche et doresnavant nul espicier de nostre dicte ville de Paris ne s’en puisse mesler du fait et vacation d’apothicairie si le dit espicier n’est lui-même apothicaire, comme il le promulgue¹.

C’est à la même époque que, déjà, on désigne toute boutique sans marchandise comme étant celle d’un apothicaire sans sucre, tant ce produit rare et exotique est un incontournable des remèdes contre le feu de Saint-Antoine ou la dysenterie. Là où la sorcière incorporait de la bave de crapaud pour ôter toute envie de danse de Saint Guy, là où le guérisseur faisait avec sa pierre du Nord, l’apothicaire saupoudre du sucre.

On imagine combien l’homme se retrouve démuni sans saccharose : apothicaire sans sucre décrit ce délabrement des approvisionnements et le marasme qui en découle.

Après quelques années d’usage pour moquer les pharmacopoles en manque d’emplâtres, drogues, baumes, cataplasmes au sucre, être un apothicaire sans sucre va concerner tout individu à qui il manque quelque chose d’essentiel, que ce soit dans l’exercice de sa profession ou de sa réflexion.

Le boucher sans bavette est un apothicaire sans sucre, le maçon sans truelle est un apothicaire sans sucre, la pervenche sans stylo est une apothicairesse sans sucre. Le chef sans charisme est aussi un apothicaire sans sucre.

L’apparition du très sérieux pharmacien qui ne saurait, lui, bidouiller des médicaments placebo à base d’eau sucrée, va impliquer la disparition d’être un apothicaire sans sucre, expression jugée trop dénigrante par le marché florissant du médicament qui émerge au début des années modernes.

Difficile désormais d’être un apothicaire sans sucre : c’est mauvais pour les affaires.

¹L’étourdi se fracassera la tête sur un linteau trop bas d’une porte de son château d’Amboise, quelques années plus tard. Ni les médecins ni les apothicaires ne pourront le sauver.

Laisser un commentaire