S’en beurrer la raie [sâ bëré la rè]

S'en beurrer la raie

Fig. A. Nécessaire de cuisine pour se beurrer la raie. Musée des produits laitiers.

[sâ bëré la rè] (loc. verb. CUIS.)

Fier ou bravache c’est selon, le contrevenant suranné sollicite très largement le dessous de la ceinture lorsqu’il s’agit de marquer une certaine désinvolture face à un châtiment annoncé par une autorité quelconque.

Côté pile avec en toucher une sans faire bouger l’autre, côté face avec s’en tamponner le coquillard, mais quoi qu’il en soit toujours en sollicitant une zone à laquelle les bonnes mœurs et une certaine idée de la vie en société conseillent de ne pas faire mention dans une conversation (en dehors de certaines situations particulières bien entendu).

La langue surannée est parfois outrancière

Restons dans l’arrière-boutique pour étudier une expression complexe qui fait appel à un usage iconoclaste d’un produit destiné a priori à demeurer en cuisine : le beurre. S’en beurrer la raie implique en effet d’utiliser une production barattée d’Isigny à d’autres fins que celles de la cuisson. Et s’il peut paraître pour le moins inconfortable de s’en tartiner le sillon inter-fessier, l’incongruité fait ressortir précisément le dédain que le tartineur affiche à l’égard du censeur.

Oui la langue surannée est parfois outrancière (voire gaspilleuse puisqu’on ne joue pas avec la nourriture) mais elle n’a pas trouvé d’autres mots pour dire combien elle se moque des métaphrastes de pacotille en charge de lui montrer le droit chemin : de ce qu’il faudrait faire elle s’en beurre la raie. De ce qu’il adviendra parce qu’elle ne l’a pas fait elle s’en beurre la raie à nouveau.

Les fines gueules liront dans s’en beurrer la raie une allusion directe à la raie au beurre blanc (le beurre noir est à bannir), sorte de renversement subtil de la situation amenant le délictueux à se régaler d’une prochaine pénitence comme il le ferait d’une délicieuse aile de raie bien cuisinée. S’en beurrer la raie est alors un affront suprême au pouvoir punissant puisqu’il permet au sanctionné de se repaître.

Le diktat moderne anti-calorifique sonna le glas du beurre blanc et concomitamment condamna s’en beurrer la raie à devenir une expression désuète. Plus de beurre dans la cuisine, c’est mauvais pour la santé ! Ses lipides, ses acides gras saturés, ses acides gras monoinsaturés et polyinsaturés fâchent le moderne qui lui préfère la margarine végétale non hydrogénée. C’est meilleur pour ses artères mais ça lui fait oublier tous ces ordres impérieux dont il aurait pu élégamment se beurrer la raie.

Car il est de toute évidence totalement impossible de se margariner la raie, de quoi aurait-on l’air ?

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