Au diable vauvert [o djabl vovèːr]

Fig. A. Diable et diablotins perturbant le pèlerin sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle.

[o djabl vovèːr] (exp. SORC.)
Nul ne sait où se situe réellement ce damné diable vauvert mais chacun sait que c’est loin, très loin et que c’est suranné. S’il s’agit de s’y mettre au vert il peut cela dit s’avérer très pratique, personne ne pouvant venir vous y chercher. Si l’on s’y fait envoyer c’est qu’on gêne un peu là où on est…

C’est la référence diabolique qui, une fois n’est pas coutume, nous fait la surannéité de cette expression ci, l’appel au Malin nous rappelant qu’il fut un temps où il régnait en maître sur les chaumières apeurées de nos villages de paille et que cette époque là devait bien être compliquée à plus d’un titre. Surtout si on était rousse et un petit peu sorcière… Voici, damoiselles et damoiseaux, comment naquit dans le langage du bon peuple ce fameux diable vauvertpuisqu’il est de mon devoir de vous le conter.

Or donc, un petit village sis sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle, quelque part en Camargue, se trouva porter le nom de Vauvert facilitant grâce à cette opportune localisation la maline explication. On peut aisément imaginer qu’après 750 bornes de marche forcée depuis Chartres ou ailleurs, le pèlerin moyen, pieds ampoulés et estomac à l’agonie, comme il atteignait l’orée dudit village se trouvait confronté à de vilaines pensées l’obligeant à maudire fermement cette tradition séculaire l’ayant obligé à braver les loups, les écorcheurs et la peste bubonique pour aller se recueillir 1300 kilomètres encore plus loin sur le tombeau supposé d’un apôtre¹.

Dès lors, le Diable lui-même lui enjoignait d’une part de renoncer à cette gageure et d’autre part de se vautrer dans le stupre et la luxure avec quelque fille de petite vertu croisée en l’auberge locale et avec quelques gorgées d’une piquette enivrante, locale elle aussi.

Aller au diable vauvert naissait de cette confusion des sens et d’une vision troublée par la fatigue. Elle était d’autant plus aisément colportée que bien vite le pèlerin se remettait en marche et emportait avec lui cette vision infernale qui lui avait brouillé l’esprit.

Cette thèse que des chagrins dénonceront iconoclaste (ils me jetteront au bûcher s’ils m’attrapent, mais oncques ne démord), repose bien entendu sur une profonde connaissance du processus de transe mystique qui guette tout pratiquant d’effort de longue durée, vous savez combien la vérité du propos exposé me tient à cœur.

Croyez-en mon expérience j’ai vu des hommes de bon sens se muer en doux dingos après avoir couru une bonne centaine de bornes, s’imaginant monter des éléphants ou tenant des propos comme dans « Amityville, la maison du diable » (tiens, encore lui). La peine physique qui dure et broie l’escafignon est mauvaise conseillère en pensée apaisée. Le diable n’est pas plus à Vauvert que dans l’ivresse ou dans l’opium, il est dans la fatigue.

Aussi pour chasser Belzébuth et tous ses congénères est-il urgent de penser au repos (celui du corps bien sûr, celui de l’âme venant bien assez tôt). Ami lecteur, amie lectrice, aujourd’hui reste couché(e) et ne va pas au diable vauvert voir si j’y suis. Et si tu tiens absolument à me croiser, viens donc à Tataouine (ou passe à la maison).

¹Au-delà de 70 kilomètres de marche on perd son humour.

Laisser un commentaire