Turbin [tyrbê]

"Fig.

[tyrbê] (n. masc. PLOMB.)
Qu’il soit salarié, forcé, grassement rémunéré, domestiqué, parcellisé, précarisé, divisé, flexibilisé, infantilisé, uberisé, le travail obsède les écrivains, les sociologues, les idéologues, les philosophes, les politiques et tous les hommes qui n’en ont pas ou bien qui en ont trop.

Ce faisant chacun de ces sachants a son idée précise du nom dont il faut l’affubler : emploi, condamnation, exploitation, esclavagisme, accomplissement, occupation, situation, corvée, activité…

Autant de termes qui cachent chacun leur tour une vision tronquée que seul le langage suranné est en mesure d’unifier¹ avec turbin. Turbin regroupe sous sa coupe toutes ces catégories voulues et subies de la production de biens et services comme facteur de production de l’économie, c’est ainsi.

Si l’on osait une once de modernisme, on dirait que turbin fait le job mais nous tenterons tout de même une définition plus classique et argumentée qu’une simple pirouette linguistique.

C’est l’argot roublard des boulevards mal famés qui introduit turbin dans la langue commune, en provenance directe de la routine déambulante des filles de joie qui s’apparente au mouvement régulier d’une turbine. Arpentant le trottoir pour attirer le chaland selon un languissant mouvement circulaire, trois pas vers la droite, demi-tour, trois pas vers la gauche, demi-tour, etc., la gourgandine est alors dite au turbin. Les voyous le reprennent puis de fil en aiguille ou de soudure en boulon c’est tout le monde ouvrier qui se retrouve dans le train-train du turbin.

Une chanson plus loin, le turbin est devenu l’essence du concept productiviste :

🎶Je suis l’plombier bier-bier-bier-bier
J’ai un beau métier
J’ fais mon turbin bin-bin-bin-bin
Dans les salles de bains²🎶🎶

C’est en ce mois de mai où des étudiants enfiévrés dépavent le boulevard Saint-Michel et balancent le fruit de leur récolte sur les têtes casquées des compagnons républicains de la sécurité que turbin agite les débats et atteint son firmament. Qu’est-il vraiment ? Est-il nécessaire ? Doit-il être organisé ? Quel sombre ou merveilleux dessein sert-il ? Les questions existentielles tournent autour du turbin et de sa raison d’être pour l’humain…

Fig. B. Question existentielle sur le travail. 1968.

Las, aucune AG, aucun sit-in, aucune manif, aucune barricade, aucune occupation de Sorbonne ou de plateau du Larzac n’apportera de réponse. Mieux encore, « et toujours le même président » dénonçant la chienlit demande que chacun veuille bien y retourner, au turbin ! La langue surannée est à tous les étages.

La montée en langage du terme de chômage réduira le turbin à la portion congrue. D’heures en heures il se rabougrira, de BIT³ en Loi il redeviendra travail et perdra cette gaieté qui le faisait chanter dans les salles de bains. Le turbin est retourné au suranné.

Veillons tout de même à ce que ce travail remplaçant le turbin ne vienne pas prétendre nous rendre libre en l’affichant en lettres majuscules sur des grilles de fer.

¹Le suranné a toujours raison.
²Pierre Perret, le plombier, 1973.
³Bureau International du Travail.

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