Un nez à piquer les gaufrettes (avoir) [ê né a piké lé ɡofrèt]

Avoir un nez à piquer les gaufrettes

Fig. A. Nez de mangeur de gaufrettes.

[ê né a piké lé ɡofrèt] (loc. verb. PINOCCH.)
Il existe un principe non écrit au temps du suranné qui stipule que la moquerie ne saurait s’exercer frontalement devant un physique disgracieux, une particularité organique peu commune, une physionomie non académique.

Le principe suivant proposant quant à lui de se gausser du petit, du gros, du grand, du laideron et du bossu en lui taillant un costard maison à base d’allégorie et d’expression; l’époque n’était pas plus charitable qu’aujourd’hui, il ne faudrait tout de même pas exagérer.

Ainsi le crapoussin courrait les rues, la belle à la chandelle ne se montrait pas au soleil et la guenuche peuplait-elle les forêts. Lorsque l’un de ces physiques auxquels la nature faisait porter sa plus grande rancœur possédait en sus un long et pointu attribut nasal, on disait de son propriétaire qu’il avait un nez à piquer les gaufrettes.

Étrange…

Que venaient donc faire les gaufrettes dans cette drôle d’histoire ?

Vous êtes adorable, joli comme un cœur

Friand qu’il était de ces biscuits alvéolés, l’enfant oyant avoir un nez à piquer les gaufrettes percevait comme une chance immense le privilège du quidam dont il imaginait alors qu’il se nourrissait exclusivement de la petite gaufre craquante. Et pas de n’importe laquelle ! Tant qu’à avoir un nez à piquer les gaufrettes autant que ce soit des gaufrettes amusantes. Mais si, souvenez-vous, ces rectangles légers gravés d’un message sympathique : vous êtes adorable, joli comme un cœur, plus on est de fous plus on rit, et tant d’autres attentions délicates qui semblaient tout autant pertinentes que les prédictions astrales de Madame Soleil.

Les gaufrettes étaient le côté lumineux de cette expression à double face.

Car immanquablement, la longueur du nez piqueur renvoyait aussi aux affres mensongères du boisé Pinocchio et à ses aventures angoissantes, interdisant strictement à l’apprenti menteur la moindre incartade. Avoir un nez à piquer les gaufrettes pouvait donc devenir un calvaire, l’histoire de l’enfant de bois qui finira pendu à la branche d’un grand chêne¹ pouvant en témoigner.

Fig. B. Le calvaire de Pinocchio avec son nez à piquer les gaufrettes.

Pour ma part, tenaillé entre le plaisir d’un mot doux à croquer et le désir de ne pas meurtrir Geppetto qui m’avait donné vie, je surveillais en permanence l’évolution de mon appendice facial et de sa pointe afin de m’assurer que je n’avais pas un nez à piquer les gaufrettes.

Avoir un nez à piquer les gaufrettes retourna d’où il venait sans qu’aucun puisse jamais aller le rechercher puisque nul précisément ne connaissait son origine. On pensa un temps que sa disparition n’était pas étrangère au complexe nourri par Dorothée qui voyait étalé en télé le roc, le cap, le pic, la péninsule, qui lui servait à respirer, mais l’enquête qui suivit la dernière prononciation d’avoir un nez à piquer les gaufrettes ne donna rien.

Durant toute l’année 1986, François Corbier, tentant vainement de copier l’auxèse de Rostand, chanta ainsi en toute impunité :

🎼🎶Le nez de Dorothée,
Qu’on se le dise
Restera cette année,
Dans sa valise
🎶Au milieu des chaussettes
Rouges et jaunes à p’tits pois
On s’prendra plus les pieds dedans
Quand elle regarde en bas🎶

Tout comme les délicieuses gaufrettes, ces paroles disparurent elles aussi.

¹Le cas échéant, relisez la fable de Collodi.

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