Faire une italienne [fèr yn italjèn]

Faire une italienne

Fig. 1.. La Comédie française où se font les italiennes.

[fèr yn italjèn] (arg. théâ. ÔM.)
Parmi les registres dans lesquels s’épanouit le suranné il en est un particulièrement fertile : la scène. Qu’elle soit de théâtre classique, de happening contemporain, de cinéma cinémascope ou Dolby surround, la représentation chérit le désuet, les expressions et les superstitions.

Vous le savez, on ne prononce pas vendredi, marteau, rideau ou corde dans un théâtre, on n’offre pas d’œillets à une actrice et on dit merde en lieu et place de bonne chance. Mais ce n’est pas fini. La gradation de la répétition qui va de l’allemande à la générale en passant par l’italienne, la couturière et la colonelle, a donné au langage une expression heureusement sans pronom¹ : faire une italienne.

Évinçons dans l’instant la question culinaire : faire une italienne n’est pas cuisiner une bruschetta aux tomates, des bucatini à l’amatriciana ou des linguine alla puttanesca, non, rien de tout ça. Faire une italienne c’est psalmodier et faire entrer dans la mémoire les vers d’un texte, et pourquoi pas sa prose, qui viendront s’installer pour ne plus être oubliés. Car s’il est une chose qui taraude l’histrion comme l’étoile c’est le trou de mémoire. Le blanc…

Immaculé.

Total.

Le blanc qui d’ailleurs fait l’effet d’un trou noir ce qui est bien étrange.

Alors pour l’éviter il faut en faire des italiennes. Assis au milieu de la scène sans décor, sans costume, sans lumière, le comédien est seul. Il ânonne son texte d’une voix neutre, cherche la musiquette qui le gravera en lui. Ça sonne comme un mantra, une prière aux Dieux de la souvenance.

Il n’y a plus de honte maintenant à cela, l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée, et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement, mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui de sa main ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie à force de grimaces une société étroite avec tous les gens du parti ; qui en choque un, se les jette tous sur les bras, et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés : ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres, ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse, qui par ce stratagème ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde ?

L’oreillette et ses ondes Bluetooth vint un jour récent reconduire l’italienne dans les coulisses. Celui qui à l’école avait eu bien du mal avec la table de multiplication par neuf ou le Dormeur du val, peut désormais déclamer sans trembler les cinq actes d’un Dom Juan ou le festin de Pierre.

Guignol qu’il est, il aura donc oublié le Cid : « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire ».

¹Faire n’est pas un verbe pronominal. Il ne s’agit donc nullement de l’expression se faire une italienne, réservée aux vacances mais ceci est une autre histoire.

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