Être beurré comme un Petit-LU [ètre bëré kòm ê petitly]

Fig. A. Bourgeois Nantais beurrés comme des Petits-LU. Musée à 45°.

[ètre bëré kòm ê petitly] (loc. verb. ALCOO.)

Quand la qualité est mise à l’honneur au temps du suranné, elle termine sa carrière en expression populaire, c’est ainsi. Qui aurait bien pu prédire un tel destin à un biscuit sablé nantais ?

Lorsqu’en 1886 Louis Lefèvre-Utile invente ce biscuit carré au bords découpés en festons qui fera la renommée de sa marque, il est très loin de s’imaginer qu’il va créer un modèle d’excellence qui le posera comme jauge de l’excès. Avec ses 65 millimètres de long, ses 54 millimètres de large et ses 6,5 millimètres d’épaisseur pour un poids unitaire de 8,33 grammes, son biscuit lisse pourrait passer pour un banal. Et ses vingt quatre poinçons répartis en quatre lignes et six colonnes, son inscription majuscule qui clame sur trois lignes LU, PETIT-BEURRE, NANTES, dans sa typographie à empatement, pourraient tout avoir de la suffisance du petit bourgeois de province prétentieux. Quoi qu’il en soit, rien qui ne prête à l’ivresse.

Comment d’ailleurs voudriez-vous enivrer avec de la farine de blé, du sucre, du beurre, du lait écrémé et du bicarbonate ?

C’est le rapprochement sémantique entre beurré (ce qu’est le Petit-LU) et bourré (ce qu’est l’ivrogne qui chante à tue-tête dans la rue) qui va faire le travail.

Beurré pourrait venir de l’argot de Montrouge, ville qui accueillaient traditionnellement les imprimeries et leurs hommes voués au labeur selon qui une page beurrée était une page noircie. Beurrée, noircie, noirci, ivre, bourré, CQFD. L’utilisation importante de beurre dans la recette du Petit-LU fera le reste : on est beurré comme un Petit-LU quand on est rond comme une queue de pelle, pété comme un coing, fait comme un Mickey, plein comme une barrique, saoul comme un cochon, raide, d’équerre.

L’absorption outrancière de boisson alcoolisée passant pour un sport national, la diffusion d’être beurré comme un Petit-LU se fera rapidement, accompagnant le succès commercial du biscuit. Nos mères se doutaient-elles qu’en glissant dans notre cartable d’écolier un berlingot et paquet de Petit-LU elle contribuaient insidieusement à nous pousser vers l’alcool ?

Heureusement la langue moderne et correctrice s’est appliquée à oublier être beurré comme un Petit-LU. Aujourd’hui l’on sait que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé et seuls quelques vieux enivrés cherchant à oublier leurs amours perdues ou leur gloire passée vont encore terminer la soirée beurrés comme un Petit-LU.

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