Compère-loriot [kôpèrlòrjo]

Phot. A. Jeune garnement en observation. Collec. privée.

[kôpèrlòrjo] (gr. n. SENS.)
Avant, c’est à dire en ces temps lointains et surannés, le garnement n’avait accès à toute information, de quelque nature qu’elle soit, que par l’observation, la rumeur et la documentation imprimée. Je veux signifier par là aux plus jeunes des lecteurs de ce modeste dictionnaire pédagogique que les précepteurs électroniques que sont vos amis algorithmes des firmes de Palo Alto ou d’ailleurs n’existaient pas.

Eh oui, ça jette un froid.

Pour apprendre des choses de la vie, le papier imprimé en couleurs était complexe à se procurer (on ne rigolait pas avec les interdictions faites aux mineurs et c’est d’ailleurs pour ça que beaucoup connurent leurs premiers émois avec les pages lingerie d’un volumineux catalogue de vente par correspondance), la rumeur était folle et faisait galoper l’imagination telle un étalon piqué par un hanneton; nous restait donc l’observation.

Qu’on ne se méprenne pas, les occasions faisaient le larron, il n’y avait pas de quête particulière, pas de vice. Les monitrices de colonies de vacances, les jolies voisines de camping constituaient les occasions majeures et quasiment uniques d’accéder à la compréhension de l’origine du monde¹, mais il fallait tout de même ruser et surtout, surtout, ne pas se faire gauler sous peine de raclée d’anthologie.

L’observation se faisait à la dérobée au travers d’un trou de serrure ou de la légère déchirure d’une toile de tente complice. Mais, car il y a un mais, la hantise s’appelait compère-loriot. La croyance circulait en effet parmi les ethnologues en culotte courte que regarder en loucedé pouvait provoquer l’apparition sur le bord de la paupière de ce traître orgelet qui nous dénoncerait de fait aux victimes de nos méfaits.

Le compère-loriot, qui était loin d’être notre complice, était redouté comme la peste. La paupière rougie et gonflée du suspect le désignait immanquablement comme coupable d’avoir fourré son œil là où il n’avait rien à y faire et celui qui était infecté devait ruser pendant des jours pour éviter de croiser le regard d’une quelconque autorité.

Que voulez-vous, on ne savait pas à l’époque qu’il s’agissait d’une simple bactérie vraisemblablement attrapée en se frottant les yeux rougis par la fumée des Gitanes ou Boyard empruntées au paysan du coin.

Je vous l’ai dit, on n’avait pas Internet !

Sur la forme composée de ce compère-loriot, nul ne sait vraiment d’où il vient et pourquoi il s’est construit ainsi, mais je veux juste vous dire que sa véritable étymologie (pour tous les surannés) est plus à rechercher du côté de l’éveil des sens que de celui de la science.

Les progrès de la médecine ont quasiment banni le compère-loriot du vocabulaire moderne. À moins que ce ne soient ceux de la technologie qui désormais donnent d’un simple clic bien impudique un vaste panorama des possibilités que nous n’imaginions même pas en nous tordant le cou et en nous collant l’œil dans la serrure. Tout ça est beaucoup mieux pour la santé publique parce que le compère-loriot ça faisait vraiment mal. Je sais de quoi je cause j’en ai attrapés quelques uns…

Heureusement il y a prescription.

¹Pour mémoire le tableau de Courbet appartenait à Lacan jusqu’à sa mort en 1981 et ne rejoint le Musée d’Orsay qu’en 1995. Il nous fut donc impossible d’y accéder en prime enfance.

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