Plaît-il ? [plɛ-til ?]

Fig. A. Talkin' to me ? (illust. XVIIIe).

Fig. A. Talkin’ to me ? (illust. XVIIIe).

[plɛ-til ?] (inv. suj. INTERRO.)
Loin de moi l’idée de déplorer la disparition progressive de toute forme de politesse dans les rapports qu’entretiennent mes contemporains avec ma petite personne (je veux dire que j’ai fait mon deuil de la question depuis longtemps et, qu’après tout, « va niquer ta race » peut s’envisager comme une formule de salutations dès l’instant où l’on a synchronisé nos référentiels culturels), mais je souhaite tout de même vous conter aujourd’hui les affres d’une formule des plus surannées pour marquer à la fois la surprise, l’incompréhension et l’appel à la reformulation d’une proposition : plaît-il ?

Bâtie autour de la jouissive notion de plaisir (du verbe plaire conjugué à l’indicatif présent à la troisième personne du singulier), plaît-il ? a tout pour plaire. Son conditionnel présent caché et subtil (vous plairait-il ?), son délicieux point dit d’interrogation qui cache pudiquement un étonnement feint pour marquer une désapprobation, et bien sûr son accent circonflexe que des vilains auraient bien aimé zigouiller.

Plaît-il ? se lance avec une certaine moue, voire morgue, un dédain, une superbe qu’il convient de maîtriser sauf à passer pour un butor. Attention à ne jamais basculer dans la suffisance ou dans l’outrecuidance, plaît-il ? est une question de dosage. Un ton trop haut est c’est le fiasco, un ton trop bas et c’est la Bérézina.

Je vous l’accorde parler le suranné n’est pas tous les jours aisé mais c’est ainsi si vous voulez faire votre effet. Entraînez-vous devant la glace à l’attitude du plaît-il ?. Tel le célèbre « You talkin’ to me ? » de Travis Bickle (alias Robert de Niro) dans Taxi Driver, je vous suggère humblement de répéter votre plaît-il ? jusqu’à le trouver juste et efficace. Il se dit d’ailleurs que le célèbre Actors Studio aurait récemment intégré dans son enseignement des exercices de plaît-il ? mais comme je ne vais plus au cinéma depuis qu’ils ont fermé l’Alhambra¹…

Si mon plaît-il ? ne vous sied pas, rabattez-vous sur « comment ? » qui fait le minimum, mais par pitié bannissez le « hein ? » notamment s’il est émis avec quelque accent que ce soit, honnissez le « de quoi ? » qui ne signifie rien si ce n’est « à propos de quoi t’est-ce que tu jactes ? », ou excusez votre piètre audition en « pardon ? ».

Plaît-il ? a dans le sang un je-ne-sais-quoi de royal, du « Car tel est notre bon plaisir » du bon François 1er, devenu incorrect avec l’incompréhension moderne liée au mot plaisir (on en revient toujours à lui). Qu’importe, gargarisez-vous de plaît-il ?, il éloignera le malfaisant qui venait vous noircir l’atmosphère avec une demande urgente, un dossier à traiter dans l’instant, une question de vie ou de mort liée au fonctionnement défectueux de la photocopieuse ou un état d’âme météorologique. Plaît-il ? éloigne le mal-comprenant qui ne saura reformuler sa demande et s’en ira la queue entre les jambes voir ailleurs si j’y suis.

Il est finalement tout aussi efficace qu’un belliqueux « You talkin’ to me ? ».

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