Huile de foie de morue [ɥil də fwa də mɔʁy]

[ɥil də fwa də mɔʁy] (gr. n. MÉD.)
Fig. 1. Morue de l'Atlantique (Gadus morhua).

Fig. 1. Morue de l’Atlantique (Gadus morhua).

Vous avez déjà croisé au fil de vos pérégrinations sémantiques curieuses et interrogatives sur ce « Dictionnaire raisonné, pédagogique et intéressant des mots et expressions surannés » qui vous permet régulièrement de briller en société en faisant montre de votre maniement subtil de la langue française, oui, vous avez déjà croisé disais-je avant de me perdre dans une diatribe laudative qui n’est finalement que le fruit de vos quotidiennes et nombreuses visites par ici et en aucun cas une sorte de satisfecit auto-promu, vous avez déjà croisé donc, quelques mets et aliments tout droit sortis des années surannées; le p’tit frichti, l’œuf dur au comptoir, les œufs en couille d’âne j’en passe et des meilleurs (vous n’avez qu’à relire les 500 pages après tout).

Tous étaient gustativement valables. Il n’en est rien de ce mot que nous partageons aujourd’hui.

L’huile de foie de morue possède non seulement le défaut de provenir de la cuisson, de l’écrasement et de la décantation de foies cuits pour en extraire l’huile d’un poisson laid¹, mais surtout, surtout, elle est dotée d’un goût qui peut en amener certains à préférer sa cousine de vidange. On peut sans même se prétendre fin gourmet observer que si la morue a la chair savoureuse elle a en revanche l’huile peu goûteuse. Forte et amer elle repoussera les délicats avec ses taux d’acide docosa hexaénoïque et d’acide eicosapentaénoïque certes sources de bienfaits pour l’organisme mais entre nous à quoi bon vivre longtemps si c’est pour s’avaler de l’huile de foie de morue ?

C’est bien là la seule vertu de la morue et de son huile : nous interroger sur l’utilité d’une existence longue et déplaisante, surtout quand il ne tient qu’à nous d’en avoir une longue et bien plaisante. À quoi bon l’huile de foie de morue quand il y a le vin, qu’il nous vienne de Bourgogne, de Bordeaux ou plus loin ? À quoi bon l’huile de foie de morue quand on possède le beurre de Normandie, la graisse d’oie du Périgord, l’huile d’olive vierge d’Andalousie ? À quoi bon l’huile de foie de morue quand on vit dans un pays qui propose plus de fromages qu’on ne pourra jamais en apprécier ? À quoi bon l’huile de foie de morue quand chaque sous-préfecture fournit tant de spécialités qui ne demandent qu’à être goutées ? Et pourquoi occire ainsi la morue à la tonne quand on se contenterait d’une seule et jolie petite cocotte ?

Vous m’en avez donné de cet ignoble breuvage censé me faire grandir (je peine à toiser le mètre quatre-vingt), me faire apercevoir (je suis myope telle la taupe), me faire un squelette solide (je n’entends pas finir en trophée de classe d’anatomie), me faire lutter contre la perte de mémoire (je ne retrouve jamais mes clefs). Vous m’en avez donné et ça n’a pas servi à grand-chose si ce n’est à la sur-pêche d’un poisson à qui je ne voulais aucun mal. Combien de litres de ce liquide visqueux mes entrailles ont-elles vu passer ? Trop, beaucoup trop.

Il est grand temps de laisser la morue nager en paix dans ses eaux froides et de filer pour ma part vers des mers et des plages bien plus chaudes où la seule huile dont j’aurai bien besoin sera celle qui m’aidera à me tanner le cuir. Mes chers amis il est l’heure, je m’en vais sur mon île, celle de la Tortue, loin, très loin de l’huile de foie de morue.

Qui sait, peut-être y trouverai-je un trésor…

 

¹Ou alors que celui qui est prêt à épouser une morue me jette la première pierre.

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