Être dans un état proche de l’Ohio [ètre dâ ên‿ éta pròS de lòajo]

dans un état proche de l’Ohio

Fig. A. Dans l’Indiana, proche de l’Ohio.

[ètre dâ ên‿ éta pròS de lòajo] (néol. Gainsb. 45T)

SI LE PROGRAMME d’histoire-géo de CM2, la lecture du Dernier des Mohicans, les films de cowboys et d’indiens, la coupe iroquoise des punks de St-Mich’, ne sont pas pour rien dans la formidable popularité de l’État du midwest américain auprès des petits Français, ce n’est pas pour autant à eux que la langue doit l’émergence d’être dans un état proche de l’Ohio.

C’est en effet par la grâce d’une interprète au(x) charme(s) envoûtant(s) que l’expression fit florès, via le hit parade de cette année 1983, et ce malgré des rimes un peu travaillées à la hache par un créateur qu’on avait connu plus inspiré (mais ceci est une autre histoire).

Entre problèmes d’accrocs dans son petit pull marine et moral à zéro, la belle Isabelle Adjani marque donc le langage vers la fin des années surannées en imposant naturellement être dans un état proche de l’Ohio comme figure privilégiée de la neurasthénie, affliction qui ne bénéficiait jusqu’alors que des conseils forts avisés et tarifés de médecins spécialistes.

Fini la fatigue, les céphalées, les troubles digestifs

Pour le commun des déprimés c’est le déclic : fini la fatigue, les céphalées, les troubles digestifs, les alertes cardio-vasculaires, les insomnies, la tristesse et l’angoisse. Son état est simplement proche de l’Ohio, ce qui en fait du pays à visiter et donc de bonnes raisons de ne pas savoir où il habite.

Pennsylvanie, Michigan, Indiana, Kentucky, Virginie occidentale offrent tant de possibilités que le vertige est explicable. Quiconque y traîne ses guêtres est nécessairement dans un état proche de l’Ohio; même le plus heureux des hommes y perdrait un peu de son âme.

Être dans un état proche de l’Ohio possède ainsi le statut quasi unique d’expression promue par une chanson (en dehors de quelques autres, paillardes, sur un certain Dudule ou sur les exploits des troupes coloniales, mais ceci est à nouveau une autre histoire).

Malgré cette qualité et sa fulgurante ascension elle ne durera pas aussi longtemps que les contributions, le 45T n’ayant tout de même pas l’autorité d’un barbacole enseignant syntaxe et grammaire.

La chanson française abandonnant ses derniers refrains au profit de l’importation massive de textes en angliche – souvent venus, ô ironie, des USA – sis dans des Compact Disc® aussi lisses et insignifiants que leurs porte-paroles, être dans un état proche de l’Ohio disparaîtra au même rythme que la diva.

L’industrie de la pilule qui rend heureux saisira au passage l’opportunité de faire fructifier ses recherches sur le bonheur moléculaire et l’expression deviendra surannée en moins de temps qu’il n’en faut pour la dire.

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