Avoir les yeux qui croisent les bras [avwar léz- jö ki krwaz lé bra]

Fig. A. Avoir les yeux qui croisent les bras.

[avwar léz- jö ki krwaz lé bra] (loc. phys. STRAB.)

Négligeant de se soumettre à la rigidité des codes de la juste plastique, la langue surannée a produit plus d’une jolie formule pour rendre charmantes des différences physiques qui, sans elle, vouaient leurs porteurs aux gémonies.

Ainsi a-t-elle mis à la disposition des cagneux la précieuse avoir les cannes en Louis XV, des chauves ne plus avoir de chapelure au jambonneau, et des beaux et des laids l’ambigu coco-bel-œil.

Décidant un jour de s’attaquer à l’alignement pas vraiment parallèle des mirettes, cette même langue a conçu avoir les yeux qui croisent les bras, ô combien moins technique que souffrir d’ésotropie, dérèglement oculmoteur et sensoriel du système optomoteur comme on dit quand on veut faire savant.

Avoir les yeux qui croisent les bras fait donc savoir que la beauté d’un regard ne se trouve pas forcément dans la rectitude qu’il renvoie et qu’un enchevêtrement de prunelles peut même s’avérer un atout. Dalida qui avait les yeux qui croisent les bras séduisait alors qu’elle comptait ses nuits d’automne (elle avait deux fois dix-huit ans) et Henry Fonda – marié cinq fois – ne laissait pas la donzelle indifférente porté qu’il fut par le succès des plans sergioléonien sur ses yeux qui louchaient sur le décolleté de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest.

Enfin, grâce à Jean-Paul Sartre avoir les yeux qui croisent les bras put même s’avérer la promesse d’une tête apte à manier le concept, contrariant l’idée commune que le loucheur à les idées autant tordues que l’œil directeur.

Avoir les yeux qui croisent les bras n’implique pas d’être comme une vache qui regarde passer le train.

Notons pour être complet que la désuétude sait aussi faire dans le grossier puisqu’elle a en stock avoir un œil qui dit merde à l’autre pour celui qui a les châsses en bataille et en profite incidemment pour terroriser les enfants du village¹.

Fig. B. Divergent en rééducation.

Le moderne qui n’apprécie guère qu’on porte un autre regard sur le monde que celui orthodoxe qu’il aura validé va bien entendu pousser en surannéité la subversive avoir les yeux qui croisent les bras.

Fronçant les yeux devant quiconque oserait l’utiliser il va parvenir à faire disparaître ces quelques millimètres divergents ou convergents à grand renfort de rééducation ou d’opération si nécessaire.

Une victoire sur cet impudent décolleté ravageur de Claudia (et d’autres, mais ceci est une autre histoire) qui faisait tant loucher.

¹Authentique.

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