Être adroit comme un prêtre normand [ètr adrwa kòm û prètre nòrmâ]

Fig. A. Maladroit à la main gauche bandée.

[ètr adrwa kòm û prètre nòrmâ] (loc. sain. MALDRE.)
Vers 1060 naquit au village de Meulan, dans le Vexin, un petit bonhomme que ses parents prénommèrent Gaucher (pour une raison que l’histoire ne colporta pas jusqu’à nos oreilles).

D’une banalité affligeante, cet heureux épisode de la vie quotidienne du nouveau millénaire allait pourtant contribuer à créer bien des siècles plus tard une expression sur l’aptitude à renverser son verre à table, à s’avérer incapable d’utiliser une paire de ciseaux ou encore à manquer un geste a priori immanquable : être adroit comme un prêtre normand.

Bien que le jeune Gaucher décida rapidement de quitter les franges de sa Normandie natale pour bâtir en Limousin un monastère qui le ferait accéder au firmament sous le nom de Saint Gaucher d’Aureil, c’est son lieu de naissance qui lui assura la plus grande postérité, celle de la langue parlée, puisque c’est bien à lui que fait allusion être adroit comme un prêtre normand, synonyme de posséder deux mains gauches, caractéristique supposée des maladroits, des empruntés du dernier geste, des briseurs de vaisselle et des tireurs de pénalty à côté du but.

Être adroit comme un prêtre normand pour marquer l’incapacité du gaucher à vivre dans un monde conçu pour le droitier va débuter sa carrière plusieurs années après la mort de Saint Gaucher d’Aureil (9 avril 1140), celle-ci ayant d’ailleurs été causée par une chute de cheval que les mauvaises langues iront jusqu’à attribuer à une certaine maladresse de l’ermite¹.

C’est en effet au cours du XVIe siècle après que l’étourdi Charles VIII se soit fracassé la tête sur un linteau de la galerie Hacquelebac du château d’Amboise, qu’être adroit comme un prêtre normand va véritablement prendre son envol.

Si l’expression affublait déjà tous ceux se comportant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine dans la région limougeaude où elle était donc née, l’événement majeur que constitue le passage de vie à trépas d’un roi n’ayant pas fait attention à la hauteur du plafond va lui donner une publicité sans pareil.

« Élève adroit comme un prêtre normand »

Alors que Saint Gaucher d’Aureil accueille Charles VIII au paradis, sur terre, être adroit comme un prêtre normand s’impose, désignant dans tout le royaume de France aussi bien les droitiers empotés que les gauchers à l’adresse fluctuante.

Un miroir brisé et ce sont sept années de malheur qui s’annoncent pour celui qui s’est montré adroit comme un prêtre normand en voulant seulement se regarder de plus près. Un cercle mal tracé au compas et c’est un adroit comme un prêtre normand de plus en commentaire sur le bulletin de l’élève gaucher contrarié.

Un homme à la maladresse salvatrice va balayer à lui seul plusieurs siècles de prêtrise normande et rendre l’expression surannée.

En décembre 1972, Pierre Richard déboule en grand blond qu’il est avec une chaussure noire au pied droit (et une marron au gauche), incarnant au cinéma la quintessence de l’inhabileté et de la gaffe.

3 504 000 entrées et trois mois plus tard Le Grand Blond avec une chaussure noire² a fait oublier Saint Gaucher et s’installe à sa place par ailleurs peu enviée d’homme le plus maladroit de France.

Pour lui aussi ce sera un succès, mais ceci est une autre histoire.

¹Aucune preuve formelle ne l’atteste.
²Réalisation Yves Robert.

Laisser un commentaire