Avoir sa cocarde [avwar sa kòkard]

Fig. A. Louis XVI avec sa cocarde et une bouteille de jaja.

[avwar sa kòkard] (loc. alcool. HIPS.)

Certains registres du langage désuet sont plus fournis que d’autres, traduisant en cela les préoccupations des parleurs d’alors.

Aux alentours de 1950, âge d’or des années surannées, chaque Français consomme en moyenne vingt deux litres d’alcool pur par an (ce qui se traduit grosso modo en deux cent cinquante boutanches de jaja) et l’on comprend dès lors l’impérieuse nécessité d’un bréviaire cossu pour éviter la redondance dans la description de l’état post-dînatoire d’une bonne majorité des convives.

Avoir sa cocarde caracole ainsi aux côtés d’avoir son plumet, être dans les viguets, être dans les brindezingues, avoir son compte, avoir son affaire, avoir sa pointe, avoir un coup de soleil, avoir un coup de jus, avoir un coup de sirop, être tout chose, être éméché, être parti, être lancé, être paf, être un pochard, être un soûlot, être un soulard, être gavé, être poivre, être un poivrot, être raide comme balle, être raide comme la justice, tous synonymes d’être beurré comme un Petit-LU.

S’il est complexe d’établir un hit parade des expressions les plus utilisées (d’autant plus que nombre d’entre elles sont prononcées de telle manière qu’elles s’entendent comme « je gregneubeulebeuleu hips ») il est certain qu’avoir sa cocarde n’est pas la dernière tant l’insigne dont il est fait mention orne de chapeaux de soldats par ailleurs grands contributeurs au maintien de la moyenne nationale susmentionnée. En effet, pour aller à la riflette mieux vaut avoir l’esprit embué par l’éthanol et ne pas se poser de questions ontologiques¹.

Attribuer aux seuls troufions le développement d’avoir sa cocarde négligerait le rôle fondamental de la maréchaussée républicaine, elle aussi dignement décorée (mais ceci est une autre histoire), et de nombreux discours de fin de banquet scandés par de fiers bedons cintrés d’une écharpe tricolore (forme étirée de la cocarde).

« Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, eh bien le travailleur Français sur le palier, il devient fou. Il devient fou. C’est comme ça »

C’est d’ailleurs à la suite d’une de ces prises de paroles sous emprise qu’avoir sa cocarde va sombrer en surannéité.

Le 19 juin 1991, à la fin d’un dîner-débat qui se tient à Orléans, Jacques Chirac improvise le fameux discours dit « du bruit et l’odeur », démontrant qu’avoir sa cocarde et en porter une officielle entourée de deux rameaux de sinople, d’olivier à dextre et de chêne à senestre, le tout brochant sur un faisceau de licteur d’argent sommé d’une tête de coq d’or barbée et crêtée de gueules conformément au décret du 22 novembre 1951, n’est pas compatible².

« Formule malencontreuse, inutilement provocante, qui ne reflète en rien le fond de ma pensée et ne peut qu’être mal interprétée » écrira l’intéressé dans ses mémoires, omettant de signaler son rôle majeur dans la disparition d’avoir sa cocarde.

On peut avoir inventé en toucher une sans faire bouger l’autre ou popularisé con comme une valise sans poignée et bousiller en une fois tout un pan de la langue surannée.

¹La mutinerie est passible du peloton d’exécution.
²Jacques Chirac est maire de Paris de 1977 à 1995.

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