Aller à la Caisse des dépôts et consignations [alé a la kès dé dépo é kôsiNasjô]

Fig. A. « — Veuillez m’excuser très chère, je dois me rendre de ce pas à la Caisse des dépôts et consignations pour une affaire de la plus haute importance ».

[alé a la kès dé dépo é kôsiNasjô] (loc. scato. FINAN.)

Lorsque dans son discours du 9 messidor an V le comte Jean Bérenger prend le taureau par les cornes et évoque « une des mesures les plus urgentes quant à la dette publique : se séparer du service journalier des arriérés, et affecter celui-ci à une caisse d’amortissement », il pose évidemment la première pierre de la Caisse des dépôts et consignations.

Ce que le futur président du Tribunat n’imagine pas encore – à moins qu’il ne soit doté d’un sens de l’humour que la postérité ne lui reconnaît pas, huguenot qu’il est – c’est qu’aller à la Caisse des dépôts et consignations va prendre dans le langage une tournure quelque peu différente de celle d’aller au boulot pour les employés de ce monde policé et propre sur lui de la haute finance.

Pour ces coquins en costume croisé à la syntaxe châtiée, aller à la Caisse des dépôts et consignations c’est en effet se rendre là où le roi va seul, expression bien entendue inutilisable sous le règne de l’empereur Napoléon 1er sous peine de séjour à Cayenne.

La date de création de l’expression demeure controversée, certains chercheurs l’envisageant en fonctionnement dès 1800 quand la première caisse chargée de garantir le paiement des obligations en souffrance et de contribuer à l’amortissement de la dette est installée rue de l’Oratoire (Paris, 1er arrdt.), d’autres arguant qu’il faudra attendre la loi du 28 avril 1816 et le libellé formel de Caisse des dépôts et consignations dans le texte pour qu’on puisse véritablement y aller.

La locution scatologique dans un premier temps réservée aux puissants (le gueux n’a a priori rien à déposer à la Caisse des dépôts et consignations) va petit à petit se déployer auprès du plus grand nombre, notamment suite à l’indemnisation des colons (de Saint-Domingue) confiée à la Caisse en 1825, une affaire qui fera grand bruit dans la France d’alors.

Il est donc certain que dès la première moitié du XIXsiècle, aller aux gogues pour la grosse commission se dit aller à la Caisse des dépôts et consignations.

Et le succès du Livret A auprès du petit peuple à gouaille de Paname, fonds d’épargne qu’elle gère, renforcera pendant plus d’un siècle aller à la Caisse des dépôts et consignations dans son sens excrémentiel, chacun usant une à deux fois par jour de la formule.

C’est en trop pour la Loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008.

Elle qui s’enorgueillit de vouloir « stimuler la croissance et les énergies (l’emploi), en levant les blocages structurels et règlementaires que connaît l’économie de la France » ne peut plus tolérer aller à la Caisse des dépôts et consignations qui salit son groupe public au service de l’intérêt général et du développement économique du pays¹.

D’un trait de plume, la LME rend surannée la trop fécale aller à la Caisse des dépôts et consignations.

Dans la foulée le taux d’intérêt du Livret A descend au plus bas (0,75 %) et l’intérêt des Français pour la Caisse s’amenuise peu à peu, tendant lui aussi vers zéro.

¹Articles L. 518-2 et suivants du Code monétaire et financier.

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