Être Chocolat [ètre Sòkòla]

Fog. A. Foottit et Chocolat.

[ètre Sòkòla] (loc. verb. CIRQ.)
SYN. Être floué, berné, s’être fait avoir.

George Foottit et Rafael Patodos étaient copains comme cochons. Les deux lascars s’étaient rencontrés en 1895 à Paris et avaient conquis le public grâce à leurs numéros comiques qu’ils exécutaient sur la piste du Nouveau Cirque, rue Saint-Honoré.

Dans cet antre néo-rococo bourré de glaces et de lustres, de moulures dorées et de tapisseries chargées comme l’haleine d’un poivrot du Balto, les deux compères incarnent Foottit et Chocolat, clown blanc et sérieux pour l’un, auguste pour l’autre. Et l’on va s’esclaffer de bon cœur pendant quinze ans à chaque fois que l’un enverra une tarte à la crème dans la poire de l’autre ou que l’autre se prendra les pieds dans le tapis¹.

T’es Chocolat !

Leur succès (trois mille spectateurs du Tout Paris les applaudissent chaque soir) va forger l’expression être Chocolat, Chocolat l’étant à chaque fois qu’il se fait berner par le rusé Foottit.

Être Chocolat ne consiste donc pas à s’enduire de beurre de cacao pour se faire lécher par des goulues en manque ou de gloutons goûteurs, et si d’aucun vous l’a fait croire il vous aura fait Chocolat.

Jusqu’en 1910 être Chocolat s’épanouit dans la langue châtiée comme dans celle des faubourgs tant le statut de clown est alors prestigieux dans toutes les couches de la société (ça se gâtera par la suite mais c’est une autre histoire²). À chaque fois qu’un gogo se fait rouler dans la farine on dit alors qu’il est Chocolat. Et l’on se gausse du gugusse.

Cette même année George et Rafael cessent galipettes et cabrioles, les choses étant de moins en moins à la calembredaine dans un pays qui sort à peine de l’affaire Dreyfus et marche dare-dare vers la Der des der.

On pourra pour autant être Chocolat encore un bon moment après que Chocolat et Foottit ne tirent leur révérence (1917 et 1921), jusqu’à ce que les grands groupes se partageant les 2,5 milliards d’euros du marché français du chocolat ne sifflent la fin de la récréation.

Comme on ne rigole pas avec les bénéfices, à l’aube des années modernes, Mars, Nestlé, Kraft, Cadbury, Ferrero et leurs comparses décident d’envoyer être Chocolat en surannéité. C’est net et sans bavure.

L’expression rejoint au purgatoire du désuet les clowns et leur coussin péteur.

¹C’est Chocolat qui est toujours le souffre-douleur évident dans cette France de la Belle Époque qui ne s’est pas encore penchée sur la question coloniale.
²« Fait le clown en classe » deviendra par exemple une mention infamante pour bulletin scolaire.

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