Présenter ses hommages à Madame la marquise [prézâté séz- òmaZ a madam la markiːz]

Fig. A. « Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour ».

[prézâté séz- òmaZ a madam la markiːz] (loc. verb. POLIT.)

Initialement promesse de fidélité du vassal à destination de son seigneur dont il est l’homme, l’hommage s’est peu à peu transformé en marque de respect (toujours d’un homme) envers une femme.

Ce pourquoi présenter ses hommages à Madame la marquise ou à une roturière peut-il aisément passer pour un épisode protocolaire comme le savoir-vivre made in France en connaît des dizaines.

L’amour courtois ne le reste jamais bien longtemps

Mais l’entendre ainsi serait faire montre d’une piètre connaissance du langage suranné et de ses multiples arrière-pensées : de la courtoisie à la bagatelle il n’y a qu’un pas, l’amour courtois ne le restant jamais bien longtemps.

La version clandestine de présenter ses hommages à Madame la marquise est un synonyme d’aller faire ses quatre voluptés dans les quartiers de noblesse de la dame susnommée¹, de prendre le café du pauvre chez les riches. Le titre nobiliaire de marquis considéré comme ridicule par Napoléon 1er se séparera du reste de la locution pour ne plus laisser en circulation que présenter ses hommages en guise, donc, de participation à une séance de zizi-panpan.

À l’origine, la langue surannée doit présenter ses hommages à Madame la marquise à Molière et à sa comédie-ballet Le Bourgeois gentilhomme dans laquelle un certain Monsieur Jourdain, puissant parvenu, entend acquérir les manières du beau monde et accessoirement déclarer sa flamme à la marquise Dorimène.

Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ». Ou bien : « D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux ». Ou bien : « Vos yeux beaux d’amour me font, belle Marquise, mourir ». Ou bien : « Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font ». Ou bien : « Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour », est la tirade source² de présenter ses hommages à Madame la marquise.

Apprise par cœur par des générations d’écoliers de l’école républicaine formés aux grands classiques, l’expression essaimera alors au quatre coins du pays qui, dès lors, paraîtra aux yeux du monde comme peuplé d’hommes à la politesse exquise toujours prêts à présenter leurs hommages : c’est la légende de la galanterie française (mais c’est une autre histoire).

Lorsque la subtilité de l’acte II scène 4 se révèlera aux yeux d’une administration qui en avait jusqu’alors encouragé l’apprentissage, la sanction sera immédiate : versement au suranné de présenter ses hommages à Madame la marquise et attribution de l’expression faire de la prose sans le savoir à Monsieur Jourdain pour changer de sujet sans perdre la face.

Résultat : le moderne ne présente plus ses hommages à Madame la marquise ni à qui que ce soit. Il est même nettement plus direct quand il s’agit pour lui d’envisager de tomber dans le stupre et la fornication¹. Tout juste dit-il encore bonjour à la dame.

¹Georges Brassens, Les Trompettes de la renommée, 1962.
²Molière, Le Bourgeois gentilhomme, acte II scène 4, 1670.

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