Être comme une vache qui regarde passer le train [ètre kòm yn vaS ki reɡarde pasé le trê]

Fig. A. Fleurette regardant passer le Progrès.

[ètre kòm yn vaS ki reɡarde pasé le trê] (loc. verb. BÊT.)
En 1835, par la voix des imaginaires éminences de l’académie de médecine de Lyon (une institution totalement inconnue au bataillon), la science l’aurait affirmé : le train c’est la fin de la civilisation.

« La translation trop rapide d’un climat à un autre produira sur les voies respiratoires un effet mortel… L’anxiété des périls constamment courus tiendra les voyageurs dans une perpétuelle alerte et sera le prodrome d’affections cérébrales. Pour une femme enceinte, tout voyage entraînera infailliblement une fausse couche avec toutes ses conséquences » auraient prédit ces savants mystérieux.

Dans les campagnes c’est pour les vaches spectatrices qu’on s’inquiète, le train étant cette fois accusé de faire tourner le lait et de leur conférer un air passif et stupide qui va se trouver consacré dans l’expression être comme une vache qui regarde passer le train.

S’il est déjà acquis depuis des lustres que les laitières qui paissent paisiblement au pré ont un regard par essence bovin, être comme une vache qui regarde passer le train est avant tout destinée à qualifier la berlue candide qui se lit dans les yeux de quiconque est confronté à une manifestation inouïe du Progrès : fée électricité, shampooing au jojoba qui agit jusqu’à la racine du cheveu et leur confère une brillance unique pendant 24 heures, bombe A, Minitel, train, etc.

En effet, incrédule devant les possibilités offertes par l’une ou l’autre de ces merveilles, l’homme de peu de foi va adopter une attitude scurrile digne de Marguerite contemplant depuis sa prairie la Lison lancée à pleine vitesse¹; il est alors comme une vache qui regarde passer le train. Mi-mécréant mi-dévot, le peu de jugeote dont il dispose ne lui permet pas d’envisager les bienfaits de la nouvelle formule enrichie aux extraits de jojoba ou de goûter le calme qui règne sur Hiroshima après que Little Boy y a fissuré ses atomes².

C’est le Progrès !

Être comme une vache qui regarde passer le train est la marque du benêt.

« C’est le Progrès » s’entend-il rétorquer devant sa pénible perplexité aux dispositions oculaires typiques tandis qu’il rumine comme Blanchette ou la Noiraude.

Fig. B. Train qui passe.

En nourrissant les bêtes avec des carcasses de leurs congénères (une méthode susceptible de faire progresser les milliards d’euros de chiffre d’affaires du marché des veaux et vaches), l’homme moderne va rendre la vache plus folle que bêtasse.

Alors que le vingtième siècle approche de son terme, Fleurette, Doucette et Pâquerette ne s’en relèveront pas et bientôt il n’en restera plus une pour regarder passer le TGV qui a depuis quelques années fait irruption dans leur champ.

L’encéphalopathie spongiforme bovine aura décimé les troupeaux, tué des humains, interdit l’os à moelle et envoyé paître en surannéité être comme une vache qui regarde passer le train. Sacrée maladie !

¹«C’était une de ces machines d’express […] d’une élégance fine et géante avec ses grandes roues légères réunies par des bras d’acier, son poitrail large, ses reins allongés et puissants». In La Bête humaine, Émile Zola, 1890.
²Le 6 août 1945 à 8h15.

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