S’en beurrer les noisettes [sâ bëré lé nwazèt]

Fig. A. Homme s’en beurrant les noisettes et son couteau à beurre. Allégorie.

[sâ bëré lé nwazèt] (loc. baratt. LAIT.)

C‘est un instant précis, quand le beurre est mis à chauffer, entre le moment de l’ébullition et le début de sa coloration, où son odeur a tout de la noisette grillée.

Mais ce n’est pas pour autant ce petit moment fugace qu’a souhaité exprimer le langage suranné avec son s’en beurrer les noisettes. Sans abandonner totalement son âme de poète, il a voulu mettre du beau dans une image de la totale indifférence, dans le niveau zéro de l’attention prêtée à un événement que d’autres déclareront primordial.

Et c’est avec s’en beurrer les noisettes qu’il l’a fait.

S’en beurrer les noisettes révèle un geste quasiment impossible à réaliser puisqu’il consiste en réalité à se tartiner des parties du corps dites intimes avec une production laitière barattée. Et qu’importe le beurre : doux et demi-sel font la rue Michel.

Au-delà de la souplesse nécessaire à l’action, une telle initiative révélerait évidemment la stade ultime du désœuvrement et du désintérêt pour les choses de la vie; voire du risque, car même le couteau à beurre sans dents ni fil aiguisé peut s’avérer redoutable dans cette zone à la fragilité exacerbée.

Il n’est donc marque de dédain ou de désintérêt plus grande que celle de s’en beurrer les noisettes. Même s’en tamponner le coquillard est un cran en dessous. S’en battre les cou****es avec une pelle à tarte a un temps essayé de lui ravir cette place de choix dans l’expression du je-m’en-foutisme mais son registre trop vulgaire l’a recalée.

Notons qu’un tel niveau de nonchaloir est exclusivement réservé à la gent masculine, une femme ne pouvant s’en beurrer les noisettes (elle pourra néanmoins allègrement s’en beurrer la raie, et ce n’est pas une autre histoire).

En 1966, l’invention de Pietro Ferrero, un pâtissier du Piémont, déboule sur les étals français : la pâte à tartiner Nutella® à base de sucre, d’huile de palme, de cacao, de lait, de lactosérum, d’émulsifiants et… de noisettes.

S’en beurrer les noisettes devient dès lors une possibilité lubrique que les plus concupiscents ne vont pas manquer d’explorer, la chose étant rendue d’autant plus acceptable que la révolution sexuelle va arriver deux ans plus tard et, surtout, que le Nutella® peut aisément être considéré comme un véritable beurre facile à étaler.

L’expression perd alors de son lustre affecté et s’abîme peu à peu en surannéité¹.

Du côté du marché on est enclin à s’en féliciter : laisser penser qu’on puisse se beurrer les noisettes d’une telle source de satisfaction aurait fait mauvais genre².

¹En 1969, année érotique, s’en beurrer les noisettes n’est plus entendue qu’au sens propre.
²84 000 tonnes consommées chaque année en France et 1,23 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

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