Être coton [ètre kòtô]

Être coton

Fig. A. La culture du coton.

[ètre kòtô] (loc. diffic. DUR-D.)
Longtemps avant le détournement du Smiley à des fins de contextualisation d’un propos numérique partagé sous une forme plus ou moins aboutie d’écrits, hauteur de voix, vibrato du timbre et appréciation de l’intensité étaient nécessaires pour utiliser certaines expressions particulièrement pointues.

C’était le cas d’être coton qui se prononçait sur un ton légèrement distancié sans tomber dans le sarcasme pour bien montrer qu’en l’occurence ce ne l’était pas, coton, doux, apaisant, enveloppant, ouaté.

C’est qu’en réalité être coton marque la difficulté d’une tâche qui s’avère un véritable défi et non une facilité que pourrait laisser augurer sa matière. Elle peut même aller jusqu’à être utilisée préventivement sous la forme eh bien mon colon ça va être coton, rappelant au passage que la fibre végétale se récolte à dos d’esclave dans une bonne partie du monde qui en a besoin pour fabriquer ses tricots de peau.

Datant du XIXe siècle, être coton provient en réalité de la grande maîtrise nécessaire à son tissage tant les bourres qui surgissent sans crier gare sont susceptibles de faire filer un mauvais coton et donc de finir au biribi ou a minima en pension, là où vont tous les mauvais garçons.

C’est d’ailleurs depuis sa geôle de Sing Sing qu’Owney Madden dit « The killer », figure notoire de la pègre new-yorkaise, donne le nom de Cotton Club à son bouge de Harlem où on ne suce pas que de la glace en pleine prohibition. Déjouant les chausse-trappes de la maison poulaga locale, le malfrat et son complice Big Frenchy De Mange y écoulent des hectolitres de scotch frelaté qui viennent rincer le gosier d’amateurs de jazz écoutant Cab Calloway, Duke Ellington et Louis Armstrong.

Le succès du lieu et de son petit frère de Pigalle¹ fera celui d’être coton qui servira de plainte convenue pendant des décennies à tous ceux ayant un Everest à escalader.

Élève face à une racine carrée à extraire, coureur cycliste au pied du Tourmalet, trouveront tour à tour que c’est coton, bientôt rejoints par ceux devant envisager une explication facile à comprendre pour une trace de rouge à lèvres sur un col ou une évolution soudaine des montants compensatoires monétaires suite à une modification de parité entre franc et mark.

« Plaire à Scarlett c’est coton »
R. Butler

En 1939, une fresque épique sur la culture du coton et les amours pas coton de ceux devant veiller à sa bonne production est même tournée par Hollywood qui a pris la mesure de l’expression.

Les chamailleries de Rhett Butler et Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent rapporteront tant et tant de dollars que l’industrie cinématographique décidera quelques années et quelques milliards plus tard de bannir être coton du langage, de peur que son usage ne nuise aux affaires florissantes.

Les-temps-sont-durs-ah-la-la-m’en-parlez-pas-ma-pov’-madame sont créés à la va-vite pour remplacer être coton devenue surannée.

Cette fois le succès ne sera pas au rendez-vous, mais ceci est une autre histoire.

¹Cotton Club, 25 rue Victor Massé, Paris. Depuis 1920.

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