Sourire à quatre quatre-vingt-quinze [surir a katre katre-vê-kêz]

Sourire à quatre quatre-vingt-quinze

Fig. A. Sourire à quatre quatre-vingt-quinze.

[surir a katre katre-vê-kêz] (loc. monét. TARTU.)

Quand montrer les dents a pour vocation d’attirer la sympathie, la langue académique utilise assez simplement le verbe sourire, du latin subridere.

Cela ne pouvait suffire à sa petite sœur surannée pour souligner que l’apparition des dominos faciaux ne marque pas obligatoirement la cordialité d’un interlocuteur.

Elle a donc concocté faire un sourire à quatre quatre-vingt-quinze qui peut servir en cas de rencontre de margoulin menteur comme un soutien-gorge n’utilisant ses zygomatiques et le tirage concomitant des commissures des lèvres que pour mieux refourguer une bonimenterie quelconque.

Car le sourire à quatre quatre-vingt-quinze est un sourire de façade, un rictus d’autosatisfaction pour manipulation en cours, une ironie narquoise pour arnaque bien ficelée.

Pour quatre francs et quatre-vingt-quinze centimes t’as plus rien

Ces quatre quatre-vingt-quinze dont est affublé le dévoilement soudain des ratiches sont des francs, mesure d’une piètre valeur puisqu’aux temps du suranné pour cent briques t’as plus rien, alors pour quatre francs et quatre-vingt-quinze centimes…

En conférant à cette hilarité naissante le prix d’un Pif Gadget, l’expression sourire à quatre quatre-vingt-quinze veut démontrer combien la risette est insincère, vilaine, intéressée. Non qu’elle méprise l’argent (ou Pif Gadget), mais surtout appelle-t-elle avec cette somme à se méfier des affables empressés qui se rideront s’ils ne parviennent pas à leurs fins, des gracieux d’apparat, marchands d’orviétan perdant leur sympathie aussitôt leur breuvage vendu.

La méfiance est de rigueur face à ce sourire à quatre quatre-vingt-quinze. L’archipatelin affublé de ses dents scintillantes compte en effet parmi les tartufes les plus redoutables : il aura tôt fait de ruiner un naïf, d’abuser une candide, d’engranger le vote enthousiaste d’un gobe-mouche.

Malgré sa force de suggestion et sa diffusion massive, nombreux sont ceux qui se feront berner par un sourire à quatre quatre-vingt-quinze.

Une rumeur jamais vérifiée rapporte que c’est l’Association des Vendeurs de Véhicules d’Occasion qui aurait fait disparaître l’expression. Des témoins aujourd’hui disparus ont parlé en leur temps d’une réunion de responsables politiques décidant unanimement de l’envoyer en surannéité. Il s’est même murmuré que les voyageurs représentants et placiers (VRP) en cuisines intégrées, fenêtre isolantes et encyclopédies en trente cinq volumes avec reliure cuir, s’étaient entendus pour la bannir à jamais, stigmatisante de leur activité qu’elle était.

Nous ne saurions étayer l’une ou l’autre de ces thèses. Le chercheur ne peut, aujourd’hui encore, expliquer comment sourire à quatre quatre-vingt-quinze est devenu suranné.

Le passage du franc à l’euro plus moderne est cependant la raison la plus probable : faire un sourire à zéro soixante et des poussières aurait vendu la mèche et démontré que son porteur se moque vraiment du monde.

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