Connaître le journal [kònètre le Zurnal]

Connaître le journal

Fig. A. Infos du Monde, l’un des rares journaux à dire la vérité.

[kònètre le Zurnal] (loc. argot. BOURGE.)

La modernité novlangagière coincée, communément présente dans les Power Point® start-upiens et les discours en tribune des diverses autorités républicaines, tend à faire oublier que les mots surannés se sont autant épanouis sur les fortifs que dans les beaux quartiers.

Les garçons bouchers de la Villette ou les maquereaux de Pigalle n’ont pas été les seuls à jacter façon codée afin que les murs (qui ont des oreilles) et la maréchaussée n’entravent que pouic : le bourgeois propre sur lui n’a jamais été en reste.

Du côté de Passy ou de la rue possédante de n’importe quel chef-lieu provincial, quand on est au courant d’une rumeur ou quand on sait à quoi s’en tenir sur une relation, c’est l’expression connaître le journal qui est utilisée.

Qui connaît le journal à propos d’untel ou unetelle ne l’a pas lu dans L’Aurore ou La Gazette contrairement à ce que la formulation pourrait laisser à penser : c’est bien son sixième sens si peu journalistique qui lui enjoint de se méfier ou d’accorder sa confiance les yeux fermés.

Connaître le journal marque bien entendu une certaine ironie quant à la teneur de l’information. Quand on ne se le fait pas dire, quand on sait précisément sans que cela ait été rapporté par toutes les feuilles de choux, on connaît le journal.

Exemple :

« — Saviez-vous cher ami qu’on croise régulièrement monsieur de [biiiiiiip] à l’abbaye des s’offre-à-tous du One-Two-Two ?
— Oh, je connais le journal… »

Connaître le journal suffit à faire savoir que l’on sait ce que l’on sait et qu’on n’en dira pas plus bien qu’on n’en pense pas moins. Une économie de moyens, une pudeur et une bienséance qui honorent le connaisseur du journal.

HEURES TRAGIQUES, ON A ASSASSINÉ JAURÈS

Connaître le journal s’épanouit pleinement alors que le journal, le vrai, celui de papier, barre ses cinq colonnes à la une de rageurs J’Accuse…! (L’Aurore) ou Heures tragiques, on a assassiné Jaurès (Le Petit Parisien), pour faire connaître lui aussi ce qu’il en est du monde et de ses vicissitudes, marquant ainsi une véritable déférence au journalisme qui dit forcément la vérité¹.

C’est d’ailleurs la disparition en 1998 des seize pages tarifées à quatre francs de l’hebdomadaire Infos du Monde qui va précipiter connaître le journal dans l’oubli.

Après que le seul journal qui osait dire la vérité sur Kimberly, 26 ans, la femme à trois seins (n°16, juillet 1994), sur l’enfant chauve-souris (n°10, mai 1994), et sur Sylvie, 33 ans, mère à deux têtes d’un enfant bicéphale et enceinte de quatre mois (n°43, janvier 1995), a mis la clef sous la porte, c’en est fini de la confiance aveugle accordée aux gazettes.

Connaître le journal devient surannée et la presse s’enfonce dans une crise qui pourrait bien l’amener elle aussi un jour en désuétude (mais ceci est une autre histoire).

¹Y compris Détective avec Les 7 témoins exécutés de sang-froid ou Le calvaire des enfants ligotés et noyés dans un lac.

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