Croc-en-jambe [kʁɔkɑ̃ʒɑ̃ːb]

Croc-en-jambe

Fig. A. Un croc-en-jambe.

[kʁɔkɑ̃ʒɑ̃ːb] (loc. PUT.)

Suranné sophistiqué, le croc-en-jambe m’est longtemps paru lointain comme je me contentai de quelque croche-patte sans même m’apercevoir qu’il en était la forme commune voire vulgaire. Oui, je n’hésite pas : vulgaire.

Le croche-patte appartient au garnement de la cour de récré (que je suis) là où le croc-en-jambe est l’œuvre d’un maître calculateur, d’un artiste, d’un cynique de haut vol.

Techniquement l’un et l’autre consistent à hâter la chute d’un quidam honni par le truchement d’une manœuvre pédestre insidieuse, un pied un seul suffisant à cela. Facile d’accès même au profane, ladite manœuvre croche-pattesque ne nécessite pas de capacité physique démesurée et un entraînement sommaire en permettra la réalisation avec succès.

Le croc-en-jambe, lui, est un art.

Sa pratique est bien loin de la récré et hante plus qu’à son tour les conseils d’administration, ceux des ministres aussi, les réunions professionnelles mettant en scène en arène attablée rasée de frais le service import-export, le juridique, la direction de la communication, la sous-direction des moyens généraux, les achats et d’obscurs consultants anciens de la maison à la retraite (et parfois de retraite, la maison).

Lorsque tous ces messieurs et désormais ces dames (la parité camarade, la parité) rivalisent tous ensemble d’arrivisme arrogant, le croc-en-jambe est leur coup favori. Slide de PowerPoint® anglicisée compliquée : croc-en-jambe. E-mail acerbe pour action en copie à la moitié de l’humanité : croc-en-jambe. Étonnement surjoué à l’ouïe dire d’une rumeur de machine à café : croc-en-jambe. Appel au vote à main-levée : croc-en-jambe. La liste est longue et chaque figure de style possède son spécialiste. Vous en connaissez, j’en suis certain.

Le coup est si perfide que j’en viens à me questionner sur le croc : simple crochet accrocheur ou croc acéré taillé pour déchirer ? Mes mollets et tibias en témoignent, le croc-en-jambe laisse des traces. Et la bûche est d’autant plus vertigineuse qu’il arrive sans prévenir.

Alors camarade, tu te relèveras, tu époussetteras ta veste moins salie que ton bel amour-propre, tu maudiras ta gentillesse naïve et tu sauras qu’il est l’heure de partir à bord du Bateau Ivre.

Fig. A. Arthur Rimbaud.

Fig. A. Arthur Rimbaud.

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

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