En baver des ronds de chapeau [â bavé dé rô de Sapo]

En baver des ronds de chapeau est une expression destinée à marquer la rudesse d'une besogne

Fig. S. Chapeaux en tous genres.

[â bavé dé rô de Sapo] (loc. verb. CHAP.)

Si les temps modernes sont parfois difficiles, ceux des années surannées le furent aussi (n’allez pas croire que tout n’y était que paix et sérénité). Pour bien en donner la mesure les inventeurs du langage firent comme à l’accoutumée, dans l’imagé et l’accessible.

L’effort herculéen nécessaire à la survie en ces périodes d’hier entraînant mécaniquement une émission salivaire importante aux commissures (de même que l’entrevue subreptice d’une plastique similaire à celle de Jessica Rabbit, mais ceci est une autre histoire), baver s’imposait pour constituer le verbe de l’expression traduisant l’arduité. Mais il fallait un complément pour atteindre le sommet, l’acmé, le pinacle de l’ahan et c’est dans les ronds de chapeau qu’il fut trouvé.

Il nous faut préciser ici que les ronds de chapeau pèsent leur poids puisqu’ils sont en plomb (et ils se doivent d’être lourds pour maintenir en forme les chapeaux dans lesquels on les place) et qu’une fois mis en place, le travail du galurin se fait ensuite à la vapeur, ce qui n’est pas de tout repos, on peut l’imaginer.

La jonction des deux parties en en baver des ronds de chapeau était bien naturelle pour définir la grande difficulté à effectuer quelque tâche que ce soit; il est des allégories qui s’imposent.

Ainsi donc naquit en baver des ronds de chapeau, expression destinée à marquer la rudesse d’une besogne ou plus largement un état pouvant durer entre une journée de travail (avec wagonnets à pousser dans la mine ou réunions inutiles et PowerPoint™ à effets tournoyants) et une vie tout entière pour les plus malchanceux.

L’exploitation de l’homme par l’homme n’étant pas en reste en ce siècle où le couvre-chef ornait toutes les têtes des faibles et des puissants, en baver des ronds de chapeau rencontra un succès équivalent à celui des créations de Giuseppe Borsalino, John B. Stetson, Caroline Reboux ou encore Madame Agnès (celle de la rue Saint-Honoré qui taillait les chapeaux à même la tête de ses clientes, pas celle du Chabanais¹) et devint une expression des plus courantes.

En baver des ronds de chapeau perd sa légitimité à l’entrée dans l’époque moderne, le port du bicorne, de la toque, du bada et du képi déclinant, le symbole couvrant d’autorité n’étant plus nécessaire et la mode vestimentaire ne conservant le haut-de-forme que pour les empesés de la gourmette et le béret pour les fêtes folkloriques.

Plus encore, en baver des ronds de chapeau disparaît totalement dans la poussière des locutions surannées lorsque s’impose la notion ultra-moderne de bien-être au travail.

Les baby-foot installés dans des salles de repos et le management participatif par objectif² rendant instantanément conviviale l’organisation de la production, celle-ci devient un véritable plaisir partagé par des collaborateurs enthousiastes qui, désormais, ne peuvent plus en baver des ronds de chapeau.

¹Qui taillait aussi ses clients.
²Authentique.

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