Compliment de la place Maubert [kôplimâ de la plas mobèr]

Fig. P. La place Maubert et ses pavés balancés sur la maréchaussée, déjà en juin 1848. Source BnF.

[kôplimâ de la plas mobèr] (loc. géog. Vᵉ arrdt.)

Bien avant l’avènement d’une époque moderne dans laquelle le regard admirant serait traité de concupiscent, dans ces temps surannés où flatter juste était du plus grand art, il existait une expression dite « du Vᵉ arrondissement » pour qualifier le louange trivial ou la galanterie malvenue.

Dans ces temps désuets, donc, l’on disait par exemple du « Ah ben y’a du monde au balcon ma p’tite dame » ou du « Votre goût exquis pour l’époque victorienne s’exprime parfaitement dans la tapisserie de votre salon » qu’ils étaient des compliments de la place Maubert. Des compliments ratés, des compliments balourds, des compliments à côté de la plaque.

Bien que cette thèse ne soit pas prisée des savants qui lui préfèrent une histoire alambiquée de précis sur l’art de flatter disparaissant pour donner naissance à l’expression, il est presque certain que le compliment de la place Maubert doive son existence à l’usage du lieu au XIVᵉ siècle : celui d’une décharge publique.

Un compliment de la place Maubert parce que perçu comme une fiente ou autre immondice, voici qui est en effet parfaitement logique (reconnaissons qu’untel flattant votre goût pour la tapisserie époque victorienne serait un sacré goujat).

Ainsi, dépassant les sombres usages qui seront faits de ladite place Maubert pendant le siècle suivant (un lieu de torture et d’exécutions capitales par pendaison, écartèlement, mise au bûcher), le compliment de la place Maubert s’imposera-t-il comme synonyme de remarque rustique voire quelque peu déplacée.

Sans concurrence aucune (nul n’a jamais entendu parler d’un compliment de la place de grève ou de la concorde – qui prête plutôt à l’insulte automobiliste les jours d’affluence), le compliment de la place Maubert avait tout pour durer. Il aurait même pu se diminuer joliment en compliment de la Maube, comme on appela le lieu dans les années poulbots du quartier Latin.

Il n’en sera rien.

Fig. B. Pavés (de la place Maubert). Leonardo Cremonini. 26 mai 1968.

Les événements de mai 1968 auront raison de la place Maubert. Ses pavés balancés sur les représentants de l’ordre républicain seront remplacés par un moderne bitume (alors qu’ils étaient censés révéler une plage) afin que la chose ne se reproduise pas.

Mis sans ménagement dans le même sac que « Il est interdit d’interdire« , « Jouissez sans entraves » et autres « Soyez réalistes, demandez l’impossible« , le compliment de la place Maubert disparaît en surannéité avec les utopies d’une génération qui va s’installer au pouvoir et tâcher d’oublier toutes ces expressions qui semblent si désuètes quand on est bien au chaud sous les ors de la République (mais ceci est une autre histoire).

Il n’y aura plus jamais de compliment de la place Maubert.