R clignotant [èr kliNòtâ]

Fig. D. Ballon franchissant la ligne de but. Ralenti. Doc. Българска национална телевизия.

[èr kliNòtâ] (lette. alpha. 18.)
L‘alphabet araméen est suranné, sans discussion. Le copte itou. Et que dire du nubien, du runique et du phénicien !

Tous comportent des caractères que l’on identifie comme surannés au premier coup d’œil. Ce qui est nettement plus complexe à envisager – mais votre encyclopédie préférée va vous y aider – c’est cette forme de désuétude liée à une lettre de l’alphabet latin couramment usitée.

Pour figurer dignement en ces lignes, la dix-huitième lettre (« r ») a besoin de s’exprimer en toute sa majuscule majesté et selon une visibilité intermittente de l’ordre du quart de seconde. Le R clignotant, tel qu’on le nomme alors dans les milieux spécialisés, s’exprime quasi exclusivement sous forme d’incrustation en haut à gauche d’un écran de télévision, pendant la retransmission d’une rencontre footballistique.

Ce R clignotant incrusté en haut à gauche de l’écran signifie ce faisant que le téléspectateur assiste à un ralenti sportif, autrement dit à la rediffusion en temps décalé et à vitesse extrêmement réduite, de l’action qui s’est déroulée sous ses yeux ébahis et son cerveau trop lent quelques instants auparavant.

Effet spécial inventé par hasard en 1894 par les techniciens de Thomas Edison, le ralenti n’est alors pas encore sportif et ne demande pas de R clignotant pour se faire comprendre. Il lui faudra attendre quelques années de plus et le magnétoscope pour se lancer dans l’exercice de mise au ban de l’arbitre qui n’a pas vu cette main évidente dans la surface et qui ferait mieux de se rendre illico aux toilettes comme l’y invitent les chants des supporters.

Revoyons l’action au ralenti

Forme quasi torquémadesque de l’insuffisance décisionnelle de l’homme en noir, témoin technique de la médiocrité d’un avant-centre de pacotille, ou à l’inverse récit lent et lyrique du geste absolu qui donne la victoire, le ralenti avec son R clignotant marquera une génération entière de téléspectateurs qui témoignent encore de nos jours, trémolos dans la voix, de la faute sur Battiston¹ ou des poteaux carrés de Glasgow². Gavés de R clignotant ils n’ont toujours pas digéré.

Parmi ces témoins, les plus pointus évoqueront les ralentis de la télévision bulgare filmant les épopées européennes du CSKA Sofia, incrustant son R clignotant à tout va sur des séquences floues, à l’arrêt, qui se retrouveront pendant des années dans les émissions recyclant les ratés du petit écran. Mais ceci est une autre histoire.

Le R clignotant disparaît des écrans en même temps que la VHS qui le nourrissait d’images. La numérisation, cette muse moderne, le pousse à s’effacer devant les centaines de possibilités créatives offertes par la manipulation de 0 et des 1 : zoom sur un joueur crachant, ralenti multi-angles sur un mouchage à la russe, loupe sur un triple roulé-boulé-y-a-penalty-là-m’sieur-l’arbitre, etc.

Même à Sofia, la Българска национална телевизия abandonne le R clignotant. C’est dire s’il est suranné…

¹France-Allemagne, 8 juillet 1982.
²Saint-Etienne-Bayern, 12 mai 1976.

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