L’œuf colonial [lëf kòlònjal]

œuf colonial

Fig. A. Gros colon.

[lëf kòlònjal] (n. masc. COLO.)

Une France ô combien surannée étendit un jour son empire colonial sur tous les continents.

De la Louisiane à Haïti, de la Guinée à la Grande Île, de l’Indochine à Pondichéry, on croisait des colons chapeautés œuvrant à servir la mère Nation sans oublier, pour la plupart, leur bien-être personnel.

C’est d’ailleurs vraisemblablement de la traduction physique de cet agrément conféré par une position dominante que procède l’œuf colonial. Quelle que soit la latitude sous laquelle il exerce, le colon mange, le colon boit, le colon se hâte lentement laissant le labeur à l’indigène, et donc le colon ventripote. Oserait-on que l’on dirait que le colon se confond au côlon, plus occupé par la digestion que par l’action. Allez, on ose.

Bonne chère et activité modérée ont donc pour résultat l’œuf colonial, rebondissement satisfaisant d’une omnipotence gidouillarde, étendard proéminent d’une conquête replète d’autant plus arrogante que souvent l’autochtone doit, lui, se serrer la ceinture.

On imaginera aisément que c’est la moquerie qui fit l’œuf colonial, à moins que la forfanterie poussa le bedonnant à se vanter de sa panse bien remplie. Cette seconde hypothèse est possible car, rappelons-le, il fut un temps pas si lointain où la bonne santé passait par la bedaine. Ainsi tout homme atteint d’œuf colonial était considéré comme puissant et bien portant, faisant généralement la grande satisfaction de sa maman¹.

L’œuf colonial disparut sous les efforts conjoints des diététiciens fourgueurs de programmes minceurs et des publicitaires vendeurs d’imaginaire bodybuildé. De basses raisons mercantiles qui firent préférer par les femmes modernes les bellâtres aux hormones de croissance, aux alanguis pour cause de goutte.

Dès lors, l’homme moderne soucieux de plaire aux blondes se mit au sport, suant, courant, sautant, tractant, poussant, afin de faire disparaître cet œuf colonial symbole d’une époque honteuse. L’œuf colonial rejoignit la guimauve tête de nègre, le zouave riant de Banania, les petits noir et jaune du zinc, au rang des mots à ne plus prononcer pour enfin oublier ce temps des colonies que seul Michel Sardou s’évertuait encore à chanter.

🎶Moi monsieur j’ai fait la colo🎶
Dakar, Conakry, Bamako,
Moi monsieur, j’ai eu la belle vie,
Au temps béni des colonies🎶
Les guerriers m’appelaient Grand Chef
Au temps glorieux de l’A.O.F.
J’avais des ficelles au képi,
Au temps béni des colonies🎶

Michel Sardou, Le temps des colonies, 1975
¹ »Reprends encore une part de gratin, tu es tout maigre ».

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