Manger les pissenlits par la racine [mâZé lé pisâli par la rasin]

Manger les pissenlits par la racine

Fig. A. La camarde mangeant des fleurs par la racine. Allégorie.

[mâZé lé pisâli par la rasin] (exp. triv. MOR.)

Se gaussant de tout et de tous, les mots surannés ne semblent craindre nul châtiment, pas même celui de la camarde. À ainsi faire les malins on peut se demander ce qui les meut, ces mots que la mort n’émeut pas.

Âmes sensibles s’abstenir, le travail exploratoire qui suit va précisément se rapporter à descendre vers les trois règnes de l’au-delà, Enfer, Purgatoire et Paradis. Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate, comme dirait Dante Alighieri, car vous connaissez la maison, il va être mené avec toute la rigueur cadavérique qui est celle de celui qui mange les pissenlits par la racine.

C’est cette pratique culinaro-mastiquatoire qui nous intéresse et plus avant, comment manger les pissenlits par la racine est devenu allégorique de reposer en paix.

Si l’akène à aigrettes, dessiné par Émile-Auguste Reiber à la fin du XIXᵉ siècle, est le symbole d’une maison d’édition qui sème à tout vent, ce n’est pas lui qui nous préoccupera ici, pas plus que ses feuilles riches en vitamine C et en β-carotène dont on fait d’excellentes salades de barabans (ce qui permet au passage de manger des pissenlits de son vivant). Nous nous concentrerons sur la partie charnue pénétrant profondément dans le sol, lui permettant au passage de résister aux plus vifs hivers.

Manger les pissenlits par la racine implique donc de les consommer en commençant par la racine, sous entendant que cette racine est la plus proche de la bouche et non qu’elle est la plus goûtue. Ladite racine se trouvant à l’état naturel sous terre, il est plus que probable que le convive la dégustant s’y trouve aussi, et que par conséquent son état à lui soit plus proche de la décomposition que de la première fraîcheur. De là à le déclarer décédé il n’y a que six pieds à creuser (soit 1,8288 mètre), CQFD. Ne peut manger les pissenlits par la racine que le trépassé, le macchabée, le momifié.

La diurétique plante des prés disparut des assiettes aux environs de 1977, alors que marcher dans la boue était devenu bien gênant pour tous ceux qui avaient quitté leur famille du Loir-et-Cher pour monter à Paris. Ces gens là qui ne faisaient pas de manière, et avec qui on n’avait alors plus guère le temps de dîner¹, furent les derniers à user de manger les pissenlits par la racine pour se souvenir de leur copain René ou du cousin Albert couchés au cimetière.

Le précieux citadin ne mangera plus les pissenlits par la racine, à moins qu’une mode nouvelle ne leur découvre des vertus guérisseuses des maux modernes, qu’elle s’empressera alors de lui vendre à prix d’or. En quelque sorte le prix du retour à la terre.

¹Que Michel Delpech soit remercié pour cet emprunt osé.

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