Coincer la bulle [kwêsé la byl]

Coincer la bulle

Fig. A. Cuirassiers coinçant la bulle. Musée des Invalides.

[kwêsé la byl] (loc. verb. ARMÉ.)

Le suranné aime le paradoxe, la contradiction logique et l’absurdité. Nous pourrions passer des heures et des lignes à l’expliquer, mais à quoi bon ?

Procédons plutôt par l’exemple avec une expression qui aurait pu (dû ?) souligner de ses mots le fabuleux Droit à la paresse de Paul Lafargue, paru en 1880, et dont nous ne saurions que trop vous suggérer le (re)lecture (mais ceci est une autre histoire).

En effet, coincer la bulle nous arrive du langage militaire et l’on a connu moins dévoué à l’ouvrage que le fantassin du 1er groupement de tabors marocains, du 2ᵉ régiment mixte de zouaves et de tirailleurs ou du 8ᵉ régiment de parachutistes d’infanterie de marine. Paradoxal disions-nous ci-dessus, car ces biffins pas vraiment économes de leurs efforts sont parmi ceux qui coincèrent la bulle en premier. Ceci demande exploration.

L’inventivité mortifère de l’être humain toujours prêt à zigouiller son prochain, créa un jour le mortier, bombarde à inclinaison permettant d’effectuer des tirs indirects et donc de balancer des obus sur la tête de l’ennemi tout en restant à l’abri. Pour faire mouche et empêcher le féroce soldat de venir mugir dans nos campagnes, le crapouillot comme on disait dans les tranchées, a besoin de stabilité et d’horizontalité : il se dote donc d’un simple niveau à bulle qui l’assure de cela. Quand il a coincé la bulle, le servant du mortier attend peinard, couché dans l’herbe, une marguerite aux commissures, qu’on lui donne l’ordre d’envoyer la purée.

Voici donc coincer la bulle, ou glander, née de la fureur des hommes et de leur inclination à occire en calculant la meilleure inclinaison pour le faire. Drôle de destin…

Les esprits savants nous font provenir coincer la bulle de Saint-Cyr, école créée par Madame de Maintenon pour « pourvoir à l’éducation des filles dont les pères, étant morts dans le service, ou étant épuisés par les dépenses qu’ils y auraient faites, se retrouveraient hors d’état de leur donner les secours nécessaires pour les faire bien élever », que les nécessités guerrières napoléoniennes transformeront en École Spéciale Militaire formant les officiers. Certes à Saint-Cyr on manie le mortier mais rien n’indique vraiment que coincer la bulle y ait trouvé son sens suranné. Nous ne nous perdrons pas en conjectures sur ce terrain miné.

Coincer la bulle est l’essence du travail bien fait, pas du travail chronophage inutile, pas de « cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir » comme l’osa Adolphe Thiers. Oui, monsieur le président¹, coincer la bulle est bien la quintessence de « cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme : jouis », comme vous le déploriez.

Vous avez presque gagné, elle a quasi disparu du langage. Quelques vieux cons surannés tentent bien de la faire perdurer : rassurez-vous, personne ne les écoute.

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