Payer au cul du camion [peje o ky dy kamjɔ̃]

Payer au cul du camion

Fig. A. Un camion avant le paiement.

[peje o ky dy kamjɔ̃] (loc. usur. TX BANC.)

Même si l’idée du camion qui germe dans l’esprit fécond de Nicolas Joseph Cugnot en 1769 peut être vue comme initiale, le bougre aura malheureusement le mot qui flanche en dénommant son chariot à transporter les charges lourdes un « fardier » (certainement parce qu’il permettait de se fader des fardeaux) et ne peut dès lors être crédité de l’invention de l’expression payer au cul du camion.

Mettre un brocco [mɛtʁ œ̃ brocco]

Fig. A. Les Apaches.

[mɛtʁ œ̃ brocco] (loc. largo. BAST.)

L‘escarpe des fortifs’, le rôdeur de barrière, qu’il soit des Gars de Charonne ou de la bande des Quatre Chemins ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit de faire valoir son point de vue. L’Apache en désaccord n’hésite pas en effet à mettre un brocco, histoire d’argumenter. La Belle Époque c’est aussi du bourre-pif, de la taloche, de la nasarde, pas que de la java ou de la valse chaloupée.

Le chercheur en suranné aura beau se démener, jamais il ne trouvera si c’est un bolo-punch, un crochet ou un uppercut que l’expression mentionne de son brocco peut-être venu d’Italie, vu que le marlou n’est pas causant et qu’il ne fait pas vraiment dans l’étymologie quand il refile de la mornifle.

S’il jacte ainsi c’est que l’argot est son dico. Plutôt que molester (trop rupin), commotionner (trop médical), ou estourbir (trop littéraire), le galapiat préfère mettre un brocco, rapport que c’est plus sec, que ça claque mieux. L’ahimsa du Mahatma c’est pas son fort au mec de Ménilmuche. Lui il travaille dans la nuisance, dans le dommage et la blessure.

Fig. B. Joseph Pleigneur, dit Manda, après avoir mis un brocco à Paulo l’Arrangeur.

Mettre un brocco ne survivra guère à l’apacherie mise au ban et au bagne par l’action de la maison poulaga, elle-même promouvant des formes originales du langage et qu’on ne pourra dès lors suspecter d’avoir voulu faire table rase de cette phraséologie fleurie.

L’expression disparaîtra comme elle était apparue : sans que l’on sache comment.

 

Mets du charbon, t’occupe pas des Indiens [mɛ dy ʃaʁbɔ̃ tɔkyp pa dé ɛ̃djɛ̃]

Fig. A. Les Indiens et la charbon : une vieille histoire.

[mɛ dy ʃaʁbɔ̃ tɔkyp pa dé ɛ̃djɛ̃] (loc. bougn. CINÉ)

Le cossard irrite tant à l’époque surannée que la langue d’alors s’est chargée de pousser au cul celui qui tente de tirer audit postérieur¹, imaginant remettre sur le chemin du juste labeur le fainéant récalcitrant.

Il est possible que le Bougnat en droite provenance de sa Limagne natale soit le créateur inspiré de mets du charbon, t’occupe pas des Indiens, expression consacrée pour obliger l’indolent à bosser.

C’est en effet lui qui charrie sur ses épaules musclées le précieux combustible jusqu’au domicile du puissant, et le languide l’irrite lorsqu’il se met soudain à se préoccuper d’autre chose que de sa tâche qui doit le mener jusqu’au quatrième étage – sans ascenseur comme il se doit puisque Félix Roux et Jean Combaluzier n’ont pas encore eu le temps d’équiper plus que la Tour Eiffel (mais ceci est une autre histoire).

Et lorsque l’Auvergnat se crispe il fait dans le fleuri et dans l’amphigouri.

Le taquin fera bien entendu remarquer que Géronimo et consorts n’ont jamais vu le Puy-de-Dôme et que conséquemment leur présence interpelle.

Lorsque l’Auvergnat se crispe il fait dans le fleuri et dans l’amphigouri

C’est là faire peu de cas de l’évidente influence de John Ford et de son œuvre, le cinéaste de la conquête de l’Ouest nous offrant dès 1924 The Iron Horse (le cheval de fer), film retraçant la construction du premier chemin de fer traversant l’Amérique et la vengeance de Davy Brandon dont le père a été tué par les Indiens. On y entend à plusieurs reprises mets du charbon, t’occupe pas des Indiens tandis que des Peaux-Rouges criards qui les avaient pris pour cibles cherchent à les clouer nus aux poteaux de couleurs².

De Sacramento à Clermont-Ferrand il n’y a donc qu’un pas grâce à mets du charbon, t’occupe pas des Indiens. L’intrusion états-unienne dans la langue d’ici est rare, ne gâchons pas notre plaisir.

Fig. B. Limonadiers devant leur établissement.

Entre 1950 et 1970, la consommation de charbon diminue au profit des hydrocarbures, plus modernes. La tendance est alors à l’ordinaire et au super dont le litre à 1 franc remplit le réservoir de la R12. La surabondance de pétrole pousse le Bougnat à se spécialiser dans la limonade qu’il sert uniquement en son boui-boui et ne délivre plus à domicile.

La Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier perd de sa superbe et entraîne avec elle mets du charbon, t’occupe pas des Indiens.

Le musard se refait la cerise, il va pouvoir tirer au flanc sans se faire sermonner. L’ère nouvelle s’annonce radieuse.

¹Tirer-au-cul
²Une coutume locale décrite par le poète.

Avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue [avwaʁ syse la tuʁ‿ ɛfɛl pur la râdre pwêty]

Fig. A. La tour Eiffel avant de devenir pointue.

[avwaʁ syse la tuʁ‿ ɛfɛl pur la râdre pwêty] (exp. ingén. VANT.)

Toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue » n’a rien à voir avec « toi t’as pas sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue ». Rien. Qu’on se le dise. La deuxième expression n’est pas la négation de la première; la langue surannée sait brouiller les pistes de la compréhension du quidam mal équipé côté verbe. Il faut des lettres pour dégoiser peinard.

Selon toute vraisemblance c’est après le 31 mars 1889 que l’expression consacrant le fanfaron un peu trop vantard a vu le jour.

En effet, avant l’inauguration officielle de la tour en fer puddlé de ce bon vieux génie de Gustave Bönickhausen dit Eiffel (les guides touristiques ne sauront jamais assez le remercier d’avoir construit son œuvre sous le patronyme raccourci d’Eiffel, « devant vous s’élève la tour Bönickhausen dit Eiffel » s’avérant nettement plus pénible à débiter à une masse de visiteurs ébahis – mais ceci est une autre histoire), il semble impossible qu’avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue ait pu exister. Celui qui se la racontait alors était tancé sous d’autres formes.

Devant vous s’élève la tour Bönickhausen dit Eiffel

Il est heureux pour la langue que la dynamique des forces métalliques ait fait aboutir une forme pointue car on imagine mal moquer le fat avec un « toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre arrondie » ou encore « toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre plate ». On friserait dans ce cas le ridicule quand on côtoie les dieux avec cette formule à la fois visionnaire et du plus évident des bons sens. Nul autre que le pire de rodomont ne saurait se vanter d’arriver à la cheville du seul ingénieur en travaux publics à avoir terminé son chantier dans les délais annoncés.

Dès que les Parisiens et le monde découvrent la Dame de fer, avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue prend ses quartiers de noblesse bien au-delà du 7arrondissement et du quartier du Gros-Caillou.

Le succès est à l’aune de la prouesse technique et esthétique de la plus haute structure du monde.

Partout on envie la langue française pour avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue. Et on tente de la copier. Quarante ans plus tard, comme le Chrysler Building devient le toit du monde bâti, la gouaille new-yorkaise tente un you sucked the Chrysler building to make it sharp qui échouera lamentablement. La langue française est inégalable.

Quand en 1991 la tour rejoint le patrimoine mondial de l’UNESCO, les fonctionnaires onusiens tatillons et chagrins refusent qu’avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue soit versée à ce même patrimoine, arguant d’indécence phallocrate, de sous-entendus érectiles, d’allusions érotiques.

Ces gratte-papiers n’entravant que pouic à la langue surannée précipiteront l’expression dans l’oubli. De ces idiots on peut cependant toujours dire qu’ils n’ont pas sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue, puisque c’est à cela que sert la négation introduite.

Rentrer à l’heure des brousses [râtré a lër dé bʁus]

Fig. A. Fêtard rentrant à l’heure des brousses.

[râtré a lër dé bʁus] (loc. mérid. NOCT.)

Dans un pays où, selon la bonne formule attribuée au Général¹, « il existe plus de fromages que de jours de l’année », il aurait été curieux qu’aucun de ces nourrissements laitiers n’alimente aussi la langue en sus du palais.

Fromage frais généralement au lait et au lactosérum cuit de chèvre, la brousse est fabriquée dans le sud-est de la France, là où la faconde chantante trouve un terrain naturel à l’exercice d’une créativité débridée certainement affûtée au Perniflard ou au Ricmuche, mais ceci est une autre histoire. C’est donc de cette pâte blanche et grumeleuse qu’il est question quand se dit rentrer à l’heure des brousses.

C’est que le producteur qui descend à pied du Rove pour vendre sa production sur le Vieux Port quitte tôt son village provençal et rentre bien tard à la ferme. Peut-être est-il allé aux carreaux brouillés rue Lanternerie ou rue Bouterie – dans le Secteur Réservé – ce qui expliquerait facilement le retard, mais ce n’est pas cette option que retient l’expression qui entend simplement signifier que celui qui est rentré à l’heure des brousses est rentré tard. Rien de plus, rien de moins.

Langue méridionale bien pendue aidant, rentrer à l’heure des brousses s’entendra plus d’une fois en ces temps où l’aube naissante accompagne au bercail le danseur de mia de retour du New Starflash Laserline Hatchin’ Club (ou du Macumba), sonnant comme un reproche mineur puisqu’il faut bien que jeunesse se passe. Étrangement, nul ne fait tout un fromage du fait de rentrer à l’heure des brousses. Sauf l’administration française qui, dans sa volonté de se mêler de tout et de réglementer jusqu’à la langue surannée, décidera un beau matin que la brousse n’est pas un véritable fromage mais un produit laitier.

Il n’en fallait guère plus pour que le noctambule s’embrouille et décide, lassé de ces subtilités, de s’affaler devant son poste de télévision et de s’endormir bien vite.

Le moderne ne rentre pas à l’heure des brousses, à cette heure bleue où les travestis vont se raser, les strip-teaseuses sont rhabillées, les traversins sont écrasés et les amoureux fatigués. À cette heure où Paris et Marseille s’éveillent parce qu’il faut bien aller bosser.

¹De Gaulle.

Être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille [ètre tajé a ku de serpèt dâz‿ yn klavikul de ɡrenuj]

Fig. A. Étude de la grenouille en cours de sciences nat’.

[ètre tajé a ku de serpèt dâz‿ yn klavikul de ɡrenuj] (loc. scien. ATHLET.)

Les cours de sciences nat’ introduits dans l’enseignement des collégiens et lycéens en 1902 et prodigués dès l’origine par des professeurs passionnés par le miracle du pistil, l’insondable profondeur de l’œil de bœuf et les réflexes vigoureux du batracien écorché, sont sans aucun doute à l’origine de l’expression être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille.

Il est en effet nécessaire d’en avoir disséqué de la rainette pour élaborer une telle construction rendant compte d’une condition physique athlétique en devenir.

Car seule une grande expertise en muscles, tendons et autres éléments du corps humain peut justement poser le diagnostic. Là où le quidam s’arrêtera à un constat rapide de défaillance en biceps, triceps et quadriceps, cet ancien élève assidu des cours de monsieur Pichon, professeur de Sciences Naturelles au lycée Henri Poincaré, saura reconnaître le futur vigoureux, le postulant baraqué, le paré pour l’épaulé-jeté.

De son bréviaire fondé sur le scalpel et l’autopsie – jouissive – de Kermit, procède être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille et sa force d’évocation unique. Rien ne dit mieux l’airain de demain, le fier pectoral qui n’est encore que mamelon, la cuisse à sculpter.

Cependant, être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille n’est pas des plus simples d’utilisation, convenons-en. En dehors d’un traité sur les grenouilles, tritons et reptiles de nos campagnes s’entend. Ou d’une convention sur la musculation chez le sportif adolescent. 

Les multiples réformes des programmes d’éducation sur des sujets de biologie aussi fondamentaux que « Comment on fait les bébés ? », « Dinosaures et météorites : qui c’est le plus fort ? », contribueront très largement à l’entourer d’un voile opaque menant parfois au contresens. Et ce tribu à la langue bien jactée laissé par monsieur Pichon se retrouvera chahuté quand un obscur gratte-papier, rapportant les fulgurances d’un comité Théodule, décidera que « Sciences de la vie et de la Terre » éclairerait efficacement l’avenir des ces Sciences naturelles devenues désuètes.

Pour être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille ce sera le coup de grâce.

À la rentrée des classes 1994 l’expression tire définitivement sa révérence aux nouvelles de l’école. SVT impose son acronyme. « Ça fait moderne » dit-on dans les hautes sphères.

Du fond de sa retraite, monsieur Pichon maugrée une dernière fois. Mais plus personne ne l’écoute. Un peu comme à l’époque quand l’élève G. était plus occupé à cacher la grenouille dans le sac US d’Isabelle plutôt qu’à l’équarrir¹. Mais ceci est une autre histoire.

¹La grenouille. Pas Isabelle.