Fers à chaussures [fèr a Sosyr]

Fig. A. Cordonniers posant des plaquettes Lulu.

[fèr a Sosyr] (access. CORDONN.)

Si l’on vous dit plaquettes Lulu ce n’est pas parce qu’on admire vos plaquettes de chocolat et que Lulu est un petit surnom qui vous sied à merveille, non.

Si on continue en bouts Rex n’y voyez aucune allusion au vieux teckel de la voisine, ce qui ne vous aurait pas effleuré l’esprit s’il s’était agit de bouts Lispol ou bouts Léger… Non, vraiment si vous n’entendez rien à Lulu, Rex, Lispol ou Léger c’est que vous n’y connaissez rien en soulier et surtout que vous n’êtes pas suranné.

Car ce sont là des marques fameuses de protecteurs d’acier, ou de fers à chaussures si vous préférez. Tac, tac, tac, tac. Ça vous revient : les fers à chaussures ?

Mettons de côté leur aspect artistique, qui atteint tout de même un certain degré de notoriété avec Thierry Agullo, artiste du mouvement sociologique¹ qui dans les années 70 exposait sa fameuse collection de fers à chaussures, et remettons à plus tard l’étude du jeu de jambes de Fred Astaire et de Ginger Rogers chaussées de leurs claquettes ferrées Sansha Metal ou Leo’s en pointes et en talons, cela nous éloignerait trop du propos nécessaire.

Tac, tac, tac, tac. Les fers à chaussures c’est avant tout un son. Celui qu’ils font à chaque pas, celui qui est bien différents selon qu’ils tapent sur le ciment, sur le parquet, sur le bitume ou le gravier. Souvenez-vous, la classe chaloupée du soulier bien ferré qui claque sur le sol : seule la symphonie des chaussures à crampons sur le carrelage de la maison peut la concurrencer (mais sans le risque de se faire rabrouer par maman). Le fer à chaussures donne le La au pas, il est une signature.

Attention, nous parlons bien ici des fers à chaussures en acier, pas des discrets bouts Mexico en plastique, dont l’unique raison semble être de prolonger la vie d’une paire de souliers.

Les fers à chaussures ont leurs adeptes du bout et leurs défenseurs de la semelle. Nous n’aurons pas la prétention de les départager ici mais tenons tout de même à signaler que les plus grands cordonniers s’accordent à clouer leurs fers et non à les visser. Certes le clou se perdra facilement, donnant lieu à cette vision cocasse d’un mocassin à gland précédé d’une demi-lune ferrée assez peu rétractile, mais il ne chignolera point le fondement de la chausse tel le pourceau pressé salopant sa besogne.

Le son des fers à chaussures posés sur Richelieu, Derby ou botillon, s’atténuera peu à peu sans qu’on puisse impliquer l’expansion de la société Topy plus que la disparition cinématographique de Jean-Paul Belmondo, sauf à diffamer l’une et ne faire de l’autre que le chancre du tac tac badaboum. Le pas moderne se fait feutré, discret, fourbe parfois. Les fers à chaussures sont bel et bien surannés et l’on ne sait même pas pourquoi.

¹«En 1971, l’art sociologique fut d’abord un concept élaboré dans une situation concrète où la sociologie de l’art mettait en question la peinture du dimanche. Il s’agissait spécifiquement du retournement de la théorie sociologique de l’art contre l’art lui-même et contre son fonctionnement idéaliste dans la société. Apparaissait comme sociologique cette pratique issue de la sociologie de l’art, et qui impliquait que l’art dise enfin la vérité sur l’art ; évidemment pas une vérité de type essentialiste ou éternel, mais bien la critique idéologique de l’art, et sa démystification ».
Hervé Fischer, Théorie de l’art sociologique. Collection “Synthèses contemporaines”, Casterman, 1977.

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