Ver-coquin [vèrkòkê]

Fig. A. Bacchus chassant le ver-coquin des vignes et cultivant celui de son esprit.

[vèrkòkê] (n. comp. CHAMP.)

Il est plus que probable, érudits lecteurs que vous êtes, que vous croisâtes le mot qui fait l’objet de cette étude dans une composition sans trait d’union et sous la forme d’un titre du premier roman publié du génial Boris Vian : Vercoquin et le plancton¹.

Si tel est bien le cas vous avez apprécié comme il se doit les soirées endiablées qu’il nous narre et cette histoire d’amour du Major et Zizanie. Et surtout, vous avez dû vous délecter des activités du Consortium National de l’Unification, machine administrativo-réglementante capable de normaliser sur tout. Le fantaisiste travaillait à l’AFNOR et il y a comme du vécu dans ses mots… (mais ceci est une autre histoire).

“Il était content, il avait fait du bon travail et réussi à mettre au point deux projets de circulaires à envoyer à l’Union Française des Adoucisseurs de pente, concernant les rondelettes à camemberts”.

Vercoquin et le plancton est donc le titre de ce roman que je vous engage sur le champ à lire ou à relire afin de retrouver cet esprit qui vous faisait rebelle quand vous aviez vingt ans (si tu as vingt ans et que tu es rebelle tu peux aussi le lire). Mais il n’aura pas échappé à votre œil acéré que vercoquin n’est pas ver-coquin.

Si l’on écoute le vigneron, l’œnologue, le cuviste, le caviste et même le convive qui porte la flûte au bec, le ver-coquin est avant tout la cochylis, chenille destructrice aussi connue en Champagne sous le nom de ver rouge, ver de vendange, ver de l’automne, et redoutée pour les dégâts qu’elle peut commettre à l’instar de ses invasions de 1779 à 1784 où la bestiole nous bouffa la récolte (nous n’étions fort opportunément pas nés). Le paysan a bonne mémoire et ver-coquin est depuis son ennemi; plus encore, on ne badine pas avec la vigne dans ce pays et ver-coquin est ce soldat que l’on entend mugir dans nos campagnes, toujours prêt à venir égorger nos fils, nos compagnes. Aux armes citoyens, sus au ver-coquin

On aurait pu en rester là, laissant l’agriculteur sulfater ses pieds de vigne pour se débarrasser des insectes lépidoptères ou les éliminer par d’autres procédés mais il était prévu que ver-coquin suive un autre chemin.

Fut-ce parce qu’il généra des comportements frénétiques, nul ne le sait, mais ver-coquin devint en langue surannée synonyme d’originalité et de caprice. Le fol était atteint d’un ver-coquin, c’est ainsi, et il était fort peu probable qu’on parvint un jour à l’en soigner. Ce ver-coquin poussait celui qu’il taraudait à agir selon sa bonne fantaisie, qu’elle soit celle d’une foucade, d’une chimère, d’une légèreté ou même d’un travers. Affublé de son ver-coquin chacun était ainsi admis avec son petit grain de folie : l’amoureux éperdu, l’idiot du village, l’enfant rêveur au dernier rang, le surdoué en rien sauf au violon. Le Consortium National de l’Unification ne régnait pas encore en maître.

L’entrée dans la modernité et l’abandon précautionneux des folies en tous genres voua le ver-coquin à la disparition. Tant mieux pour la vigne de Champagne et d’ailleurs si elle nous donne du bon vin, tant pis pour nous puisque nous ne pourrons le boire car, il me faut ici le rappeler, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, sachez donc apprécier et consommer avec modération.

¹Gallimard, 1946.
²Ces paroles originelles de la Marseillaise furent modifiées par la suite en séance de la Convention nationale du 26 messidor an III qui l’adopta comme chant national.

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