Ne tirez pas sur le pianiste [ne tiré pa syr le pjanist]

Fig. A. We will meet again, Bill Evans.

Fig. A. We will meet again, Bill Evans.

[ne tiré pa syr le pjanist] (exp. imp. INDULG.)
Lucky Luke et ses fidèles compagnons Jolly Jumper et Rantanplan permirent à bon nombre d’enfants des années surannées de découvrir l’Amérique et la conquête de l’ouest ainsi que quelques expressions ardues employées par les cow-boys au temps de la ruée vers l’or. 

Dans chaque saloon d’Albuquerque (Canyon Apache), d’Awful Gulch (Les Dalton dans le blizzard), de Coyote Creek (Le Daily Star), d’El Plomo (Calamity Jane) ou encore Nothing Gulch (Le cavalier blanc), au dessus du pianiste qui fait de son mieux pour une ambiance conviviale, on trouve un petit panonceau qui intime : ne tirez pas sur la pianiste. Un appel au calme à lire en creux car il annonce la tempête de la bagarre qui viendra et qui ne manquera pas de briser à la fois miroir et piano.

Ne tirez pas sur le pianiste nous viendrait du dandy Irlandais Oscar Wilde et de ses Impressions d’Amérique que j’admets bien volontiers ne pas avoir lues et, de fait, sur lesquelles je n’émettrai aucune appréciation.

Je n’ai trouvé aucune trace de ne tirez pas sur le pianiste dans L’Or, La Merveilleuse Histoire du général Johann August Suter, de Blaise Cendrars nous racontant la même période, ce qui prouve juste que les bonshommes ne fréquentaient pas les mêmes tripots. Étonnant cependant.

Ne tirez pas sur le pianiste cache derrière son impératif une tendre requête d’indulgence pour ceux qui tentent avec leur art, qu’ils en soient virtuoses ou de peu doués amateurs, de nous extraire même un instant de la pesanteur de notre condition. Le pianiste du honky-tonk, cible facile puisqu’immobile et nous tournant le dos, y met du sien sur son piano bastringue. Avec sa chemise blanche, son gilet sans manches et son chapeau melon il est autant désaccordé que son instrument mais n’en a cure : il joue, alors laissez-le jouer.

Ne tirez pas sur la pianiste quand le petit voisin débute le violon, ne tirez pas sur le pianiste quand un barbouilleur inonde un châssis tendu de lin immaculé du jaune qu’il voit dans le soleil couchant, ne tirez pas sur le pianiste quand un adolescent descendant les fleuves impassibles et ne se sentant plus guidé par les haleurs vous soumettra ses vers imprudents. La grâce est plus farouche à séduire que la plus jolie des blondes.

L’expression s’en est allée au suranné un triste soir de 13 novembre, quand de médiocres chercheurs de gloire divine se sont mis à tirer sur le pianiste, ceux qui l’accompagnaient et tous ceux qui l’écoutaient.

Ce n’était pas dans l’ouest sauvage et enfiévré il y a plus d’un siècle mais à Paris, en 2015.

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