Se monter le bourrichon [se môté le buriSô]

Fig. A. Fonctionnement d'un cerveau de Master Mind.

Fig. A. Fonctionnement d’un bourrichon remonté.

[se môté le buriSô] (loc. HUÎT.)

Les deux « rr » de tout mot suranné donnent le ton : ils se roulent pour bien lui conférer tout son sens d’antan, c’est une règle à respecter. Ce petit vibrato de la langue, ce son que les linguistes nomment consonne roulée alvéolaire voisée, est en français une marque délicate et charmante de désuétude¹. Entraînez-vous car voici un dérivé de bourriche qu’il va vous falloir prononcer.

Se monter le bourrichon s’extirpe effectivement de la bourriche paysanne, ce panier en osier avec lequel nos grand-mères se rendaient au marché et nos grand-pères à la pêche (et pas l’inverse, n’en déplaise à certains). Notons que la bourriche avait cette particularité de posséder un couvercle articulé qui pouvait ce faisant s’ouvrir ou se fermer; c’est un point important et nous y reviendrons.

Le bourrichon est donc au centre de nos préoccupations en cet instant. Diminutif d’un contenant bon à tout faire il est le descriptif de la tête, rejoignant en cela d’autres éléments de diverses matières qui font le même office : théière, carafe et carafon, bouillotte, tirelire… Se monter le bourrichon consiste globalement en une auto-suggestion sous forme de surenchère portant sur tel ou tel sujet sans importance objectivement majeure. On se montera le bourrichon pour un silence pris comme mépris, pour un refus qu’on jugera offensant, pour un regard imaginé malveillant, ou au contraire pour un sourire voulu enjôleur.

Une distorsion entretenue de la réalité qui porte ses illusions jusqu’au pinacle et fait s’ouvrir le bourrichon (le fameux couvercle dont il était question princeps) le laissant déverser ce trop-plein de rancœurs ou de faveurs qu’il aura cumulées. Et comme chacun le sait un bourrichon ouvert est un bourrichon qui fuit, ce qui n’est jamais bon. La matière grise est faite pour demeurer dans la boîte crânienne, pas pour suinter en dehors de cette limite.

Ce faisant, se monter le bourrichon est fortement déconseillé pour la santé. Dans une époque moderne qui se préoccupe de ce que nous mangeons, buvons, regardons à la télévision (et j’en passe) par principe de précaution, il est étrange qu’elle ne lutte aucunement contre ces montées de bourrichon qui font autant de dégâts que le gras et l’alcool réunis. Un nécessaire avertissement serait sain :

« Se monter le bourrichon peut vous faire passer pour un con. »

Bien entendu je sais que l’on se monte parfois le bourrichon par passion, amoureuse s’entend, et qu’il relèverait alors de l’exception de laisser Cupidon grimper au cocotier d’où il finira par tomber et se briser les ailes. Hormis ce cas particulier il sera conseillé de laisser aller, c’est une valse².

🎼🎶J’ai fait la saison dans cette boite crânienne
Tes pensées, je les faisais miennes
T’accaparer, seulement t’accaparer
D’estrade en estrade j’ai fait danser tant de malentendus
Des kilomètres de vie en rose
Un jour au cirque un autre a cherché à te plaire
Dresseur de loulous,
Dynamiteur d’aqueducs🎶🎶

🎶🎶La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Effrontément
J’ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho🎶🎶

La nuit je mens, Alain Bashung, 1998.

¹Mon arrière-grand-mère roulait les r à merveille.
²Georges Lautner, 1971. Dialogues : Bertrand Blier, Georges Lautner

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