Civette [sivèt]

La civette du Palais Royal est la première, l'historique : elle date de 1716

Civette

Fig D. Vos luttes partent en fumée. Alain Bashung.

[sivèt] (n. fém. TABA.)
Chaque année des hommes et des femmes disparaissent en allant chercher des cigarettes.

Quand je dis disparaissent je ne suis pas en train de vous raconter que fumer tue, vous le saviez déjà et si vous avez choisi de vous intoxiquer je ne serai pas prosélyte en bonne santé. Ils disparaissent au sens propre du terme, comme par magie. Happés par un ailleurs sans doute meilleur, ils choisissent de tout quitter. Si c’est pour une histoire d’amour, pour une passion, je leur donne raison.

Ce qui nous intriguera aujourd’hui sont leurs dernières paroles. Leurs dernières paroles pour ceux qu’ils quittent s’entend, puisque bien entendu ils diront d’autres mots. S’ils parlent en suranné il sera certainement question d’aller faire un tour à la civette pour acheter les fameuses cigarettes.

La petite boutique innocente complice est visible de loin avec son enseigne en cône double et rouge qui peut même parfois s’allumer. D’aucuns voulant la jouer familiers la nomment carotte mais les vrais surannés savent qu’il faut dire civette. C’est ainsi puisque tout petits déjà le paternel les envoyait chercher un paquet de Gauloises à la civette du coin.

Que de missions remplies jusqu’à cette civette qui jouxtait le kiosque qui vendait Pif Gadget ! Les jours de chance j’emportais dans mes poches assez pour un paquet et mon hebdomadaire; si c’était mauvais vent je me contentais d’un Malabar rose qui me collerait les cheveux plus tard dans la journée.

Ce n’était pas la civette du Palais Royal, la première, l’historique, celle de 1716 qui transmis sa dénomination aux milliers de commerces du même genre qui fleurirent par la suite dans ce pays où jusque récemment (fin des années surannées exactement) le président de la République fumait en réunion, où mon père fumait en voiture, où l’on fumait aussi dans les avions et bien sûr au restaurant. C’était une petite civette de quartier et j’aimais bien y aller. L’odeur entêtante des cigares qui trônaient en vitrine, leurs dénominations étranges de Cohiba, Davidoff ou bien Montecristo, la farandole des paquets colorés de cibiches, le ramasse-monnaie avec une gitane qui dansait dans les volutes touffues qui l’entouraient, tout ça créait un monde d’initiés dont je ne comprenais pas les codes fascinants qui m’intriguaient d’autant.

Mon père a arrêté de fumer juste à temps. Juste à temps pour lui, juste à temps pour que je ne m’y mette à mon tour. Je n’ai plus mis les pieds à la civette et son nom s’est éteint jusqu’à être suranné. Elle est devenu un débit de tabac, nos cousins de Québec disent une tabagie et je crois qu’ils sont dans le vrai. Lucky Luke et Bogart ont cessé de fumer, l’idée d’une santé publique est passée après eux, la cigarette est devenue une addiction honnie.

Ceux qui disparaissent désormais en allant acheter des cigarettes le font parce que le crabe les attend au tournant. Ce n’est plus par passion, ce n’est plus pour une histoire d’amour. Mais qui de nos jours laisserait tout tomber pour une histoire d’amour ? Tout ça est bien dommage.

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