Quel aria ! [kèl arja]

Fig. A. Chambre de l’enfant idéal.

[kèl arja] (exclam. BORDE.)
Je préciserai en amuse-bouche que le mot que vous allez rencontrer à nouveau dans ces lignes (je dis « à nouveau » car il est peu probable que vous ne l’ayez croisé depuis un bail) est du genre masculin. Mes oreilles d’enfance qui l’ont parfois entendu le croyait féminin, je ne sais pas vraiment pourquoi et je n’entrerai même pas dans un débat sur la chose car je préfère éviter les foudres féministes toujours promptes à me brûler en place publique pour ce qu’elles considèrent comme incartade. Ceci était donc juste une légère introduction ménageant un suspense haletant.

Plus qu’un mot, quel aria est un cri qui annonce qu’il va y avoir du tirage.

Je dois vous avouer qu’il est commun qu’il soit ainsi énoncé quand ma mère a malencontreusement décidé de rentrer dans ma chambre. Oui, oui, à sept ans mon sens du rangement ne correspond pas aux critères universels ratifiés par je ne sais quelle convention internationale sur l’empilement des Lego dans la boîte à Lego et le confinement des soldats de plastique et de plomb dans les boîtes en fer blanc de la maison Brossard désormais vidées de leurs gâteaux. Et pourriez-vous bon sang me dire pourquoi un lit devrait être fait au carré et s’il me plaît de cacher cette tapisserie avec des posters de Dominique Rocheteau et Michel Platini de quoi suis-je donc coupable ? Vous croyez peut-être que ces grosses fleurs orange sont d’un meilleur goût que le logo Manufrance et les jambes poilues de l’Ange vert ?

J’entends donc quel aria et je sais qu’il va me falloir négocier. Ou pas. Car quel aria est souvent synonyme d’un oukase quasi fascisant m’obligeant dans l’instant à me soumettre au diktat de l’ordre et de la propreté. Deux ennemis intimes quand on a sept ans et qu’on est un garçon des années surannées.

Au bout de deux ou trois longues heures d’abandon d’accumulation créatives (en quoi cette pyramide de canettes de Coca-Cola glanées dans le monde entier n’est-elle pas digne d’Arman ?) et de renoncement à la reconstitution des plus grands batailles de l’Empire (faudra pas s’étonner si on perd la prochaine guerre, mon sens de la stratégie n’ayant pu se confronter à la réalité du terrain), voici une chambre digne d’un chérubin : vierge et immaculée. Propre. Rangée. Chiante en un mot.

Quel aria a eu raison de mon refus des normes d’hygiène et des règles de sécurité intimant de ne pas encombrer les issues de secours. J’ai finalement renoncé au désordre et au doux chaos dans lesquels je me serais bien vu déambuler jusqu’à la fin de mes jours. Ma mère peut être fière : chez moi c’est désormais rangé, nickel. À tel point que quel aria a pu s’effacer du vocabulaire exclamatif et rejoindre les expressions surannées.

Je crois que j’ai quand même réussi à conserver un coin où les choses s’empilent en un savant désordre défiant les lois de la physique et celles de votre logique. Heureusement ! Et ce coin là personne n’est près de le ranger. C’est un coin de ma tête.

Je vous ai bien eus.

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