Le réveil de voyage [lə ʁevɛj də vwajaʒ]

Fig. A. Time to leave.

[lə ʁevɛj də vwajaʒ] (gr. nom. HORL.)
Parmi les objets devenus surannés un grand nombre est lié au voyage. L’abandon progressif des voyages maritimes transatlantiques suite à la menue voie d’eau sur tribord d’un navire de la White Star Line en 1912 au large de Terre Neuve marqua sans doute le début de la fin¹ pour ces moments privilégiés qui permettaient de croiser des élégantes à la table du Capitaine ou de deviser doctement sur le troisième pont en contemplant le soleil vert et rendit donc surannés la malle-cabine tout comme le réveil de voyage.

Las, aujourd’hui où en 11 heures on est à Tokyo et en 8 à New York, soit au passage à peine le temps de faire connaissance avec la ravissante et blonde chef de cabine² qui disparaîtra dès l’atterrissage, on n’a plus guère besoin de réveil de voyage. En posséder un dans vos bagages vous fera passer au choix pour un dangereux malfaisant préparant un coup-fourré tant son tic-tac colporte une référence collective à des engins de mort ou pour un vieux con suranné ce qui n’est peut-être pas mieux aux yeux des modernes qui nous encerclent.

J’ai eu mon premier réveil de voyage comme cadeau quelque part dans ma plus tendre enfance. Il était doré et se carapatait dans un étui tout de vert vêtu selon un astucieux système de bascule lorsqu’il regagnait sa valise. Il avait un cadran blanc, trois aiguilles et la date du jour. Je ne me souviens pas de sa marque. De l’Hôtel de la Plage au camping des Flots bleus, de l’auberge de jeunesse au riad caché dans la médina, mon réveil de voyage s’essayait du mieux possible à me donner l’heure officielle préalablement réglée par mes soins à partir d’une source approximative (une horloge murale, la montre d’un concierge) puisque reposant elle aussi sur la bonne volonté de son propriétaire et de son zèle supposé à mesurer le temps qui passe à la seconde près conformément à la définition donnée en 1967 lors de la 13ᵉ Conférence générale des poids et mesures de cet interstice temporel comme étant la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133.

Je crois que mon bon vieux réveil de voyage se tapait bien du césium 133 comme de son premier dix heures vingt-quatre. Ainsi au cours de sa carrière contribua-t-il à me faire manquer plusieurs petits déjeuners continentaux pourtant servis jusqu’à 11 heures, me réveilla-t-il (mais n’était-ce pas là sa fonction) au beau milieu de la nuit de sa sonnerie métallique et vibrante parce qu’il avait décidé de lui-même qu’il fallait me lever, et même me laissa-t-il sans repère temporel parce qu’il avait décidé de s’arrêter de tic-taquer. Qu’importe il était beau, majestueusement posé sur une table de nuit qui l’accueillait pour quelques heures.

Je l’ai oublié quelque part dans une boîte ou un grenier quand les montres à leur tour ont appris à sonner. Et puis est venu le téléphone qui sait tout faire. Celui-là a besoin de wifi, d’électricité; il ne fait aucun bruit, il sonne à l’heure juste et je peux même choisir son ton et son intensité. Je suis sûr qu’il connait par cœur les 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133.

Des fois je me dis que j’aurais dû couler avec le Titanic.

¹Cela dit pour éviter de se taper du Céline Dion pendant 3 semaines en vase clos on est prêt à tout.
²Je vous ai déjà entretenu de mon goût pour le personnel navigant, je n’y reviens donc pas ça pourrait vous lasser.

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