Avoir une voix de mêlécasse [avwar yn vwa de mélékas]

Fig. A. Si ce soir j’ai envie d’me casser la voix.

[avwar yn vwa de mélékas] (loc. cass. PATRIIIIC.)

En 1989 le poète se rebiffait, crâneur, dans l’une de ses chansons déchirantes qui précisément déchirait (ce sans quoi elle n’aurait pas réellement été déchirante, mais ceci est une autre histoire) les oreilles : si ce soir j’ai pas envie d’rentrer tout seul, si ce soir j’ai pas envie d’rentrer chez moi, si ce soir j’ai pas envie d’fermer ma gueule, si ce soir j’ai envie d’me casser la voix¹, peut-être sans savoir qu’en des temps un peu plus surannés il eût dû trouver une rime un tantinet plus riche pour terminer sur si ce soir j’ai envie d’avoir une voix de mêlécasse.

Que ce soit suite à la dénonciation vocalisée et sans concession de l’injustice dans le monde² ou à l’absorption sans modération d’alcool et plus particulièrement du très destructeur mélange absinthe ou eau-de-vie, liqueur de cassis, liqueur de menthe, dit aussi mêlécassis, posséder un timbre de voix éraillé comme celui d’un vieux parrain Sicilien se dit en effet avoir une voix de mêlécasse.

Casser la voix, casser la voix, casser la voix¹…

C’est bien entendu aux conséquences de cette forme notablement améliorée du blanc cass que Zola cite dans l’Assommoir, que l’on doit l’expression qui caractérise aussi tout enrouement et diminution des possibilités d’expression sonore.

Le supporter vainqueur peut avoir une voix de mêlécasse après le match (perdu ou gagné), tout comme le tribun qui s’est un peu enflammé ou le fumeur de Boyard après son troisième paquet de la journée. Et le chanteur énervé par les filles de la nuit qu’on voit jamais le jour et qu’on couche dans son lit en appelant ça de l’amour¹, évidemment.

Avoir une voix de mêlécasse perdit de son aura après l’interdiction de l’absinthe en 1915, le mêlécassis s’avérant dès lors nettement moins nuisible pour les cordes vocales. Malgré les efforts d’autres mélanges aux propriétés éraillantes, avoir une voix de Cuba libre ne perça point, pas plus qu’avoir une voix de piña colada.

Avoir une voix de mêlécasse disparut corps et âme dans l’abîme suranné après le triomphe du cocktail sans alcool servi en cas de pot de départ du responsable de la photocopieuse ou offert en situation d’attente prolongée à la pizzéria Il Vesuvio, la mixtion s’avérant sans effet en cas d’abus.

Alors si ce soir t’as envie d’te casser la voix, ce ne sera pas en buvant.

¹Casser la voix : paroles de Gérard Presgurvic, Patrick Bruel. 1989.
²Depuis l’Olympia ou la scène d’un festival de province.

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