Ne pas être le couteau le plus affûté du tiroir [ne pa ètre le kuto le ply afyté dy tirwar]

Fig. A. Ancien cancre affûtant son couteau.

[ne pa ètre le kuto le ply afyté dy tirwar] (loc. cuis. NAÏV.)
« Elle ne cessera donc jamais, cette langue d’antan, de fouiner en cuisine pour y trouver les ingrédients nécessaires à concocter ses turpitudes moqueuses ? » se questionneront les toqués des fourneaux un peu lassés par ces incursions dans leur pré carré¹.

Ne pas être le couteau le plus affûté du tiroir vient en effet emprunter au maître queux l’un de ses ustensiles sans réellement lui en demander l’autorisation, ce qui est proche du crime de lèse-majesté puisque le Grand Queux de France est tout de même officier de la Maison du roi (jusqu’en 1490 du moins).

Passant outre ces considérations protocolaires et susceptibilités de piano, le couteau à la lame pas vraiment aiguisée va peu à peu désigner au sein d’un groupe l’individu – provisoirement – le moins bien doté en capacité de raisonnement à qui il suffirait pourtant d’une pierre Arkansas du catalogue Manufrance pour trancher à nouveau : il n’est donc pas complètement abruti mais momentanément affecté.

Par exemple n’est pas le couteau le plus affûté du tiroir l’élève qui se noie dans l’exposé du débit de la Seine comparé à celui de la Loire (« C’est pourtant facile à retenir, vous feriez mieux d’écouter pendant les cours de géographie ») ou celui qui ne parvient pas à déterminer qu’un train partant à 7h45 de Montauban croisera celui parti de la gare d’Austerlitz à 6h32 en direction de Brive-la-Gaillarde à 8h43 (« C’est pourtant facile à calculer, vous feriez mieux d’écouter pendant les cours d’algèbre »).

N’est pas le couteau le plus affûté du tiroir cet enthousiaste touriste chasseur de dahu qui espère accrocher son trophée avant l’aube, encouragé par d’hilares montagnards autochtones dopés au vin chaud.

N’est pas le couteau le plus affûté du tiroir ce bizut parti chercher la clef du champ de tir, le bidon d’huile de coude ou un sachet de graines à fagots.

Il faut donc lire derrière cet affûtage a minima, des qualités qui ne demandent qu’à être révélées par un précepteur patient. Ne pas être le couteau les plus affûté du tiroir est un message d’espoir, certes un peu taquin, mais moins destructeur qu’un irrévocable être vraiment trop con.

Puisque peu acéré, ce couteau titille sans blesser réellement.

Lorsque résonne le dernier « Rééééééééémouleur ! Repasse couteaux ! Repasse ciseaux ! » lancé dans la rue alors que les années qui préfèrent jeter plutôt que remettre à niveau pointent leur nez, ne pas être le couteau le plus affûté du tiroir s’en va rejoindre en surannéité avec la bite et le couteau désuète depuis belle lurette.

Plus tranchante, une époque moderne à couteaux tirés n’a que faire des moins affûtés qu’elle range dans la catégorie des couverts inutiles.

¹Cf. lancer un regard de basilic, faire petit salé, mettre à la sauce piquante, se peler l’oignon, etc.

Laisser un commentaire