Aller à Niort [alé a njòr]

Fig. A. Niort.

[alé a njòr] (loc. loc. CRIM.)

La grande truanderie est l’une des sources du langage suranné. Il nous faut bien l’avouer.

Usant d’une grammaire et d’un vocabulaire qui échappaient initialement à la maréchaussée et ses nervis, le gibier de potence a peu à peu vu ses bons mots récupérés par tout un chacun jusqu’à en faire des expressions du quotidien.

Ainsi aller à Niort qui signifiait dans un premier temps effectuer un voyage pour se rendre dans ce chef-lieu des Deux-Sèvres, est-elle devenue la plus belle manière de faire le candide, de ne pas passer à table lors d’un entretien avec les représentants de la maison poulaga visant à faire cracher le morceau sur tel crime ou tel délit. Ou d’une manière générale de feindre l’ignorance.

C’est la consonance du verbe ignorer qui est évidemment à l’origine d’aller à Niort, le pendard n’en étant pas moins poète à ses heures perdues (en garde à vue).

Quand on va à Niort on ignore. Et si l’on ignore c’est qu’on est innocent; supposément.

Aller à Niort n’est en effet pas une garantie de mansuétude judiciaire, et l’on peut imaginer s’y rendre guilleret et pour autant se faire attraper par la patrouille qui en a vu d’autres. Henri Désiré Landru par exemple alla à Niort tout au long des débats de son procès avec quelques diatribes demeurées célèbres¹, ce qui ne l’empêcha pas de finir son périple, raccourci, à Versailles.

Dans son usage, aller à Niort se heurta de nombreuses fois au bottin qui en fit changer plus d’un de destination, mais ceci est une autre histoire².

L’association à un langage de malfaiteurs cessera lorsque les intérêts économiques de la belle ville de Niort, capitale des mutuelles d’assurance depuis les années 70, prendront le dessus sur la gouaille.

À l’orée des années modernes aller à Niort file en surannéité et redevient aller à Niort, gentille expression d’un déplacement de courtier vers sa maison mère ou d’une balade dominicale pour admirer le Donjon.

Quoi de plus innocent ?

¹ »Moi ? J’ai fait disparaître quelqu’un ? Eh bien, ça alors ! Si vous croyez ce que racontent les journaux ! ». « Si les femmes que j’ai connues ont quelque chose à me reprocher, elles n’ont qu’à déposer plainte ! ».
² Une légende diront les orfèvres du quai.

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