Ça gaze ? [sa ɡaːz ?]

Fig. A. L’As des As. 1915.

[sa ɡaːz ?] (form. interr. AÉRO.)

La richesse de la langue française est infinie, autant que sa complexité.

Ainsi, trois lettres, g-a-z, offrent-elles non seulement un impressionnant rapport points / occupation de l’espace lorsqu’elles sont judicieusement placées au Scrabble® mais, de plus, conduisent à moult développements sémantiques.

Le verbe gazer dont il sera question aujourd’hui n’est pas celui employé par Monsieur de Balzac.

Le savant ne confondra donc pas le balzacien gazer, au sens de dissimuler tout en suggérant (sous-entendu : sous un voile de gaze, elle-même peut-être venue de la ville de Gaza, mais cela est une autre histoire) avec le verbe gazer de cette question surannée, ça gaze ?

Autre piège à éviter, confondre le verbe transitif, gazer, avec le verbe intransitif, gazer, de l’expression ça gaze ? Ce que le vulgaire ne fait que trop souvent, hélas, soit par paresse de l’esprit, soit parce que ces deux acceptions sont nées pendant la guerre surannée de 1914-1918.

Pourtant, ça gaze ? n’a rien à voir avec l’action de gazer l’ennemi au combat, activité très en vogue en cette période où l’on construisait l’Europe un peu à la manière d’une boucherie sans caméras de vidéo-surveillance.

En ces mêmes temps où les poilus préparaient le terrain de la future itinérance mémorielle que l’on sait, l’aviation connaissait ses premiers succès industriels tout autant qu’assassins. Les héros qui firent la fierté des deux camps – celui de la liberté triomphante et celui de l’obscurantisme boche – volaient dans leurs fragiles biplans au-dessus des tranchées pour y déposer quelques bombes, faire des repérages ou encore mitrailler l’avion d’en face. Autant de scènes admirables qui ont été décrites dans le documentaire bien connu de Gérard Oury avec Jean-Paul Belmondo, L’As des As.

C’est à cette époque que les pilotes ont dû, pour la première fois, « mettre les gaz ». Si le pilote ne met pas les gaz, l’avion ne décolle pas. Il existe une copieuse littérature de la science aéronautique qui décrit le phénomène.

Puis, pour tromper l’ennui quand ils revenaient sur terre – et n’avaient pas été abattus par le boche – ils voulurent mettre les gaz dans leur vie terrestre comme ils le faisaient dans leurs avions. D’où cette interpellation de leurs coreligionnaires : « Alors Roger ? Tu as mis les gaz ? » (en supposant que ledit coreligionnaire se prénommât Roger), qui fut bien vite raccourci par l’usage en un joyeux « Alors Roger ? Ça gaze ? » (verbe intransitif, ça va de soi).

Une expression réservée donc aux premiers temps surannés à des spécialistes, avant qu’elle ne se répande dans le bon peuple, puis d’être supplantée par le plus primesautier ça boume ? dont le caractère suranné a déjà été démontré avec la rigueur qui sied céans.

L’usage de ça gaze ? fut hélas toujours pollué par le verbe transitif homophone ; quand Pierre Laval demandait à ses collaborateurs « Alors, ça gaze ? », ceux-ci lui répondaient invariablement en rendant compte de leurs travaux pour l’élaboration d’une solution finale franco-allemande à la question juive et quelques autres.

Aujourd’hui encore, en raison de cet infect verbe transitif, l’homme sage évitera de demander à un promeneur du samedi après-midi en centre-ville si ça gaze ?, et ce d’autant si ledit promeneur est muni d’un gilet jaune.

Quoique dûment suranné, ça gaze ? pourrait connaître un renouveau grâce aux efforts des twittos pour répandre le délicieux « Ça gazouille ? », jeu de mots d’une franche modernité qui n’échappera pas aux lettrés deux point zéro.

 

✒︎ Une définition rédigée par Maître Roger, @maitreroger

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