À se cogner le derrière au lustre [a se kòNé le dèrjèr o lystr]

Fig. A. Phobiques administratifs tentant de se cogner le derrière au lustre.

[a se kòNé le dèrjèr o lystr] (néo. laca. PSY.)

Jacques Lacan, qui s’est longuement penché sur la métaphore et la métonymie au point de ne pas passer pour le dernier des cons quand il s’agissait de décortiquer le langage pour y trouver l’inconscient, fut aussi créateur d’expressions surannées.

La postérité moderne l’ayant volontairement oublié, il est du devoir du Dictionnaire raisonné des mots surannés et expressions désuètes de remettre les pendules à l’heure.

C’est en effet au psychanalyste que la mesure de l’insensé doit à se cogner le derrière au lustre, formulation issue de « se taper le derrière au lustre » prononcée par le bonhomme lors de son intervention au colloque international de Royaumont (10-13 Juillet 1958)¹ et publiée dans La psychanalyse, 1961, n°6, « Perspectives structurales ».

Se cogner le derrière au lustre est certes bâtie sur la même structure que se taper le cul par terre (apocopée en astap²) mais ne comporte pas la connotation humoristique de sa consœur.

Avec à se cogner le derrière au lustre il est question d’une ultime gradation sur une échelle de quantification, le dernier barreau de ladite échelle permettant – avec un risque certain de se casser la margoulette – de frapper les pendeloques en cristal d’un luminaire à l’aide de son postérieur. L’image peut faire sourire mais il n’est pourtant pas question de dérision dans la formule d’origine lacanienne : à se cogner le derrière au lustre est véritablement le dernier stade avant de basculer dans la folie irrémédiable.

On dira par exemple que l’aboutissement d’une démarche quelconque au sein de l’administration française est à se cogner le derrière au lustre (les nombreux patients atteints de phobie administrative étant pour leur part tombés de l’échelle susmentionnée), ou que tel article de tel règlement serait à se taper le cul par terre s’il n’était pas à se cogner le derrière au lustre tant le bon sens semble en avoir été banni.

Les occasions de devenir fou ne manquant pas, à se cogner le derrière au lustre connaîtra un véritable succès dans le parler du quotidien.

Notons qu’aucune formule plus crue pourtant tentante du type à s’en cogner les couilles au lustre ou à s’en tamponner le cul au lustre n’est connue tant la force et l’image de l’originale s’imposent.

Paradoxalement, ce n’est pas la dissolution de l’École freudienne de Paris en janvier 1980 qui marquera celle de se cogner le derrière au lustre.

Au début de ces années modernes, une mode décorative nouvelle décroche des plafonds les montgolfières de cristal, les roues de chariot, les gouvernails en bois, les monte-et-baisse et leur papier tue-mouches, les boules d’opaline et les sphères orange qui illuminaient alors.

L’éclairage sera désormais indirect et le lustre n’est plus bon à rien.

S’y cogner le derrière devenant impossible, l’expression incompréhensible disparaît avec la commune mesure de la folie, mais ceci est une autre histoire.

¹ »Sans autre histoire que de se conjuguer irrésistiblement dans le verbe : se taper le derrière au lustre, dont la place nous paraît ici marquée pour le scoliaste futur d’y rencontrer son occasion éternelle. »
²Preuve s’il en fallait que les échanges électroniques modernes condensés en LOL ou MDR n’ont rien inventé.

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