Reporter son fusil à la mairie [ʁəpɔʁte sɔ̃ fyzi a la mɛʁi]

Fig. A. Gardes Nationaux de moins de cinquante ans.

[ʁəpɔʁte sɔ̃ fyzi a la mɛʁi] (loc. verb. COMM.)

Il est des constructions parfois étranges dans le langage suranné.

Oui, l’expression qui se présente en ces lignes pourrait au pire nous sembler belliqueuse, au mieux nous faire comprendre que l’avancement dans l’âge est un naufrage.

Car selon elle c’est à cinquante printemps que les choses se gâtent (la matière grise particulièrement) et qu’il faut donc prendre toutes les précautions qui éviteront un accident et notamment reporter son fusil à la mairie.

Passés les cinquante ans (la jauge évoluera à cinquante cinq et soixante selon les époques mais l’esprit est bien là), il est en effet obligatoire de rendre à la mairie de sa commune l’arme de service que tout enrôlé dans la Garde Nationale détient chez lui¹.

C’est que depuis juillet 1789 et la création spontanée de cette milice pour lutter contre les « complots aristocratiques », un pétoire équipe plusieurs milliers de citoyens chargés du maintien de l’ordre et de la sécurité intérieure. Mais attention pas de tromblon pour les gâteux, des fois qu’ils leur prenne l’idée de souffler leurs bougies d’anniversaire avec ou n’importe quelle lubie du genre. Alors, les cinquante balais atteints, il s’en faut reporter son fusil à la mairie comme l’exige le règlement.

Bien logiquement, reporter son fusil à la mairie deviendra aussi l’expression désignant tout homme ayant dépassé le demi-siècle. Plutôt que de pointer du doigt le temps qui a passé et qui a fatigué ses épaules et ses yeux, on préfèrera lui faire comprendre qu’il est temps d’aller se reposer, des remiser ses airs de va-t’en-guerre et donc de reporter son fusil à la mairie. C’est pour son bien, il risquerait de se blesser.

Le 18 mars 1871, Adolphe Thiers tente de reprendre les canons de la Garde Nationale de Belleville et Montmartre, ordonnant en quelque sorte à tous ces jeunes et vieux croutons de reporter leurs armes à la mairie (de Versailles). On connaît la suite. L’utopie communarde se termine dans le sang et Versailles devient à jamais la ville ennemie de Paris (mais ceci est une autre histoire).

Dans la foulée, la Garde Nationale est dissoute : tout homme doit reporter son fusil à la mairie quel que soit son âge. Tachée de sang, l’expression passe l’arme à gauche.

Inutile au moderne quinqua persuadé qu’il ne fait pas son âge puisqu’il porte les même chaussures de sport que lorsqu’il avait quinze ans – des Stan Smith – et des vêtements griffés de la chanson fétiche de la commune² (ô ironie mercatique), reporter son fusil à la mairie ne ressortira jamais de son oubli suranné.

🎶Quand vous en serez au temps des cerises,
Si vous avez peur des chagrins d’amour,
Évitez les belles 🎶

¹Tous les hommes âgés de 20 à 60 ans devront effectuer leur service de Garde Nationale à partir de son institution en 1799 par l’article 48 de la Constitution de l’An VIII.
²Le Temps des cerises. Paroles de Jean-Baptiste Clément, 1866.

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