Avoir un deuxième bureau [avwaʁ œ̃ døzjɛm byʁo]

Fig. A. Le maréchal Mobutu au bureau.

[avwaʁ œ̃ døzjɛm byʁo] (loc. cong. BIT.)
Loin, très loin de ses cafés plus théâtres que Balto et de son boulevard sanctifié, la langue germanopratine a su trouver dans des contrées qui utilisent le français depuis des temps où il débarqua avec les colons qui le parlaient, de quoi se concocter des expressions aux petits oignons.

C’est dans le suranné Congo belge d’alors où se croisaient le lingala, le kituba et le français (de Belgique) qu’est née avoir un deuxième bureau, expression d’une besogne obligeant à remettre sur le métier un ouvrage par ailleurs déjà accompli.

Avoir un deuxième bureau suppose évidemment d’en posséder un premier, ou du moins décrit-on en ces termes la compagne légitime d’un homme par ailleurs travailleur acharné puisque souvent en réunion au deuxième bureau qui lui, vaut pour la grande horizontale.

Selon toute vraisemblance bâtie après une attentive observation des mœurs coloniales de nombreux administrateurs, avoir un deuxième bureau s’imposa assez vite comme une parabole du marivaudage dans le langage du deuxième plus grand pays d’Afrique. Signalons aussi une thèse qui argue que ce sont les agissements secrets des espions militaires Français (les agents du fameux deuxième bureau dissout après la deuxième guerre mondiale) se mêlant le plus intimement possible à la population congolaise qui auraient initié la construction d’avoir un deuxième bureau.

Fig. B. Agents du deuxième bureau.

Ainsi de Léopoldville à Stanleyville, de Baudoinville à la Nouvelle Anvers on baguenauda tranquillement sous l’égide concupiscente d’avoir un deuxième bureau et de ses impératives permanences à des heures indues, de ses obligatoires conseils d’administration et interminables colloques qui pouvaient éloigner du foyer le plus consciencieux des maris.

Culte du travail bien fait et de la conscience professionnelle oblige, avoir un deuxième bureau n’est nullement un reproche et s’entend comme une assertion exclusivement dédiée aux hommes. Une caractéristique qui s’explique évidemment du fait du quasi monopole masculin du travail de bureau en ces temps surannés.

L’indépendance proclamée le 30 juin 1960 de la nouvelle République du Congo ne rendra pas désuète avoir un deuxième bureau, le français demeurant la langue officielle du deuxième pays francophone le plus peuplé du monde¹ et ses expressions trouvant de quoi s’épanouir dans la nouvelle organisation du pays.

C’est le BIT² qui fera cesser la chose.

En s’établissant en République du Congo le 1er avril 1975, l’organisation internationale dont l’amélioration de la productivité au travail est le credo, exigera que disparaisse avoir un deuxième bureaude toute évidence source de déperdition d’énergie plutôt que de rentabilité ou de plein emploi.

Plus occupé à fomenter des coups d’État ou à organiser the rumble in the jungle³ pour briller aux yeux du monde, le maréchal Mobutu acceptera cet abandon linguistique. Le Léopard du Zaïre avait d’autres sujets plus enrichissants à traiter qu’une vieille expression.

¹La RDC est aujourd’hui le pays francophone le plus peuplé avec 82 millions d’habitants.
²Bureau International du Travail.
³Le 30 octobre 1974, Mohamed Ali remporte à Kinshasa (l’ancienne Léopoldville) le titre de champion du monde poids lourds de boxe, face à George Foreman.

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