Ne pas attacher son chien avec des saucisses [nə pa ataʃe sɔ̃ ʃjɛ̃ avɛk de sosis]

Fig. A. Au marché, chien espérant une saucisse. L’Illustration, Journal Universel, Paris, 1857.

[nə pa ataʃe sɔ̃ ʃjɛ̃ avɛk de sosis] (loc. can. CHARCUT.)

Évagre le Pontique avait tout le temps nécessaire à une réflexion poussée, le bon moine vivant dans le désert de Nitrie peu fréquenté en ce quatrième siècle après JC.

On peut donc lui accorder tout le crédit possible et prendre pour argent comptant les huit passions sources de tous les maux (qui deviendront un peu plus tard les sept péchés capitaux) que l’anachorète détermina après moult débats avec lui-même et peut-être quelques disciples.

Son numéro trois, l’avarice, aurait mérité deux places de mieux dans le classement puisqu’elle vient après la gourmandise et la luxure mais nous ne nous engagerons pas dans une querelle canonique en ces lignes¹.

C’est d’ailleurs l’avis largement partagé des usagers de la langue surannée puisqu’ils ont réservé à cet ignoble vice l’expression ne pas attacher son chien avec des saucisses alors qu’ils n’ont rien imaginé pour les deux autres licences.

On dira donc fréquemment du radin, du fesse-Mathieu, de l’harpagon, qu’il n’attache pas son chien avec des saucisses, certainement de peur que l’animal ne les dévore dans l’instant et lui coûte ainsi les yeux de la tête, lui qui a l’argent si ridicule.

Quiconque connaît le canin sait bien qu’il serait vain de vouloir le contraindre avec une laisse de charcuterie, et l’image fait sourire l’homme de bon sens. L’avare, lui, est terrifié par l’idée. Il imagine déjà sa fortune engloutie en Francfort, Morteau, Toulouse, Strasbourg et Montbéliard dont se gaverait le mâtin.

Au voleur ! Au voleur ! À l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? N’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin…²

Devoir attacher son chien avec des saucisses est le pire cauchemar du grippe-sou qui est pleurerait autant que si on lui avait dérobé sa cassette.

L’on pourrait accuser le langage de peu de charité. Se moquer ainsi d’un pauvre-riche bougre avec ne pas attacher son chien avec des saucisses ne peut être dans l’enseignement des sages ascètes ! Mais la joie du cabot devant son repas de fête balaye toute réserve morale : après tout se gausser d’un pince-maille en nourrissant un brave toutou est un plaisir sans faille.

Ne pas attacher son chien avec des saucisses va vivre de conversation en conversation, croisant parfois avoir des oursins au fond des poches histoire de changer de goût tout en demeurant dans le culinaire, et toujours se riant du mesquin.

Sa disparition demeure inexpliquée et c’est selon un subtil et mercantile retournement de situation dont la mercatique moderne a le secret que l’expression devint surannée : se comporter en ladre devint une qualité – consumériste, évidemment – que certains marchands de pacotille à vil prix se mirent à afficher fièrement pour fourguer leur camelote à un radin faisant dorénavant le cabot en quelque sorte.

¹Nous n’en pensons pas moins.
²Molière, L’Avare, acte IV, scène 7 : le monologue d’Harpagon.

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