Aller cueillir la noisette [ale kœjiʁ la nwazɛt]

Fig. A. Mignonne.

[ale kœjiʁ la nwazɛt] (loc. horti. AVEL.)

Bien qu’un célèbre et enjôleur poème floriculteur – qui en fit trembler plus d’un debout sur l’estrade devant la classe entière tandis qu’il en ânonnait les vers – propose depuis 1545 à une mignonne d’aller voir si la rose qui ce matin avoit desclose sa robe de pourpre au soleil a point perdu ceste vesprée¹, la langue surannée s’est sentie obligée de lui donner un synonyme tout autant horticole mais un peu moins complexe (la fameuse vesprée) pour faire part de la recherche d’un endroit tranquille propice aux ébats amoureux.

Elle a ainsi fait d’aller cueillir la noisette l’égal de l’ode adressée à la belle Cassandre Salviati qui en épousa un autre moins riche en rimes mais plus en terres, refusant donc d’aller vérifier la vesprée ce qu’elle regretta en secret toute sa vie (mais ceci est une autre histoire).

Ne nous y trompons pas : aller voir si la rose qui ce matin avait desclose sa robe de pourpre au soleil ou aller cueillir la noisette sont certes enivrantes de leurs parfums suggérés, mais aussi (et surtout) de belles expressions codées pour proposer à la lectrice d’aller batifoler dans les hautes herbes ou dans les foins.

Derrière l’innocente proposition de récolte d’avelines c’est de voir le loup qu’il s’agit. Tout comme derrière la plus tarabiscotée robe de pourpre au soleil.

Mais dans les deux cas, ça fait de belles couleurs : en effet, la noisette se récolte en plein été indien, une saison qui existe ailleurs que dans le nord de l’Amérique contrairement à ce qui se raconte, et au cours de laquelle les femmes en robe ressemblent à une aquarelle de Marie Laurencin (comme il se le raconte aussi).

Il est probable qu’aller cueillir la noisette soit née dans une région où l’on sait s’allonger dans l’herbe et attendre patiemment que le fruit tombe, ce qui n’est pas vraiment Massachusetts’ attitude comme on dit à Cambridge où l’on préfère travailler pour la science et la technologie, à des milliers de kilomètres de Cervione (Haute-Corse) où la noisette bénéficie d’un label d’indication géographique protégée.

Ainsi, opportunément isolée de tous ceux cherchant louablement à bâtir un monde meilleur grâce à l’éducation, la recherche et l’innovation, aller cueillir la noisette accompagna les amoureux coquins dans les grands champs de blés pendant de nombreuses années.

C’est un triste fait divers qui envoya aller cueillir la noisette en surannéité. Selon les journaux de l’époque, le chasseur « les avait pris pour des chevreuils » et il avait tiré.

Immédiatement, les autorités avaient interdit l’usage de « cette irresponsable expression » afin que les tourtereaux ne soient plus confondus avec du gibier.

Les statistiques peinent à prouver que cette mesure fut justifiée.

¹À Cassandre, Pierre de Ronsard.

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