Ressembler à l’anguille de Melun [ʁəsɑ̃ble a lɑ̃ɡij də məlɛ̃]

Fig. A. Membres de la Société de Pêche des Anguilles Melunaises.

Le saviez-vous ? La Société de Pêche des Anguilles Melunaises (SPAM) créée en juillet 1898¹ est l’héritière des maîtres pêcheurs de la ville de Melun, seuls autorisés par les rois de France à taquiner le goujon dans la Seine.

Bob Ricmuche sur le crâne, boutanche de blanc prenant le frais dans le courant, ces pêcheurs casaniers pas vraiment cap-horniers capturent depuis la nuit des temps l’anguille de Melun qui a sa petite réputation chez les gourmets (cf. Le Mesnagier de Paris pour les recettes).

Il est donc plus que probable que c’est à leur gouaille des berges² que l’on doive l’expression ressembler à l’anguille de Melun.

Ressembler à l’anguille de Melun c’est être douillet, à tel point qu’on entendra le mol qui ressemble à l’anguille de Melun « crier avant qu’on ne l’écorche », comme le dit Picrochole dans Gargantua (Livre I, chap. XLVII). Succès du sieur Rabelais oblige, ressembler à l’anguille de Melun va devenir dès la deuxième moitié du XVIᵉ siècle une formule à succès pour décrire celui qui a peur de son ombre et qui geint par avance de ce que la vilaine pourrait lui faire subir.


Nota bene : la seule exception connue à l’usage de ressembler à l’anguille de Melun concerne l’appréhension bien légitime qui saisit tout homme devant prendre en main une enveloppe, la coupure générée par le rabat collant de celle-ci s’avérant toujours extrêmement douloureuse et potentiellement létale. On ne pourra donc dire dans ce cas que le plaignant ressemble à l’anguille de Melun.


Sans que l’on puisse plus avant incriminer l’anguille de Melun pour un comportement outrageusement pleurnichard, l’expression vivait au rythme des lamentations préventives des uns et des plaintes anticipées des autres quand le drame qui va la conduire en surannéité se produit en direct, un certain 12 mai 1992.

Maire-Thérèse Ordonez, dite Maïté, généreuse cuisinière de télévision à l’accent du terroir, va massacrer sous l’œil complice de Micheline Banzet et de millions de téléspectateurs, une anguille bien décidée à ne pas se laisser estourbir par une matrone des fourneaux et son rouleau à pâtisserie conjugal.

« Ne bouge pas ma chérrie, on va juste… c’est rien, viens là ma puce, viens là ma puce, viens là ma biche, viens là… » Blam ! Blam, blam, blam !

Trois minutes et quarante trois seconde de matraquage qui marqueront l’histoire du petit écran plus tard³, une génération entière d’enfants est traumatisée à vie et refuse d’entendre parler de ressembler à l’anguille de Melun comme d’une expression pour sensible apeuré. Et de ma puce, ma biche, ma chérie comme de petits mots tendres.

Ressembler à l’anguille de Melun disparaît a jamais. La recette de l’anguille en matelote aussi.

Ma puce, ma biche et ma chérie prendront quelques années pour s’en remettre.

¹Authentique, évidemment.
²Oui, l’on possède une jactance spécifique en bords de Seine. Il en existe une pour les fortifs’ alors pourquoi pas pour les bords de Seine ?
³Archives de l’INA pour revoir la séquence.

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