Faire queue de rat [fèr kö de ra]

Faire queue de rat

Fig. A. Rat de laboratoire. Musée Pfizer.

[fèr kö de ra] (loc. verb. LULU)

Où l’on comprendra aisément que certaines expressions tombent en désuétude, poussées dans l’oubli qu’elles sont par une arrogance virile et typiquement masculine qui veut que quand on pense à Fernande…

Pour cela il faudra savoir que faire queue de rat est la locution verbale consacrée pour décrire ce qui arrive au vieux garçon de la chanson quand il pense à Lulu¹ (celle qui vient après Fernande, après Félicie et après Léonore).

Nul ne sait s’il s’agit de Lulu la Nantaise, la blonde comaque de la p’tite tôle de Biénoa, pas très loin de Saigon², dont la réputation laisserait plutôt entendre qu’elle n’engendrait pas l’indifférence auprès de la gent masculine, mais nous nous devons de constater ici que cette Lulu là (celle de Fernande, donc) ramollit les ardeurs, ou encore fait faire queue de rat. Ça arrive.

L’expression faire queue de rat procède certainement de l’observation attentive de l’appendice des représentants du genre Rattus rattus, compagnons de l’homme depuis la préhistoire, honnis depuis la peste noire du XIVᵉ qu’ils contribuèrent à répandre non pas avec leur queue longue et molle mais avec leurs morsures et déjections.

Il est aussi possible que faire queue de rat descende de l’art capillicole improbable qui consistait, en des temps et des régions reculés, à arborer une coiffure très courte avec une splendide et fine tresse sur la nuque, dite alors « queue-de-rat », laquelle est souvent considérée par les psychanalystes comme un symbole d’impuissance sexuelle. Cela dit, cette thèse oppose plusieurs écoles d’investigation de l’inconscient et plusieurs autres coteries de la haute et basse coiffure, ce qui en fait une étymologie que nous ne saurions retenir dans une encyclopédie à la rigueur scientifique irréprochable.

Quelle qu’en fut l’origine, faire queue de rat s’employa sous le sceau de la confidence pendant longtemps (l’information publique sur une panne de virilité étant reconnue comme motif de fâcherie chez la plupart des mâles), ce qui explique sa diffusion confidentielle. Il est donc normal que vous en ayez peu usé (d’autant moins que vous n’étiez pas concerné par son sens, cela va sans dire).

Sa chute en surannéité ne fut qu’accélérée par la découverte du citrate de sildénafil (médicament de la classe des inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 comme chacun sait) en 1996, aussi appelé pilule bleue par des utilisateurs forcément discrets sur leur propension à faire queue de rat.

Pour l’anecdote, le nom commercial Viagra® ne viendrait pas du mot sanskrit vyaaghra (le tigre) comme il se raconte parfois, mais de la contraction de « voilà les gros rats » qui désignait les pauvres cobayes pendant les essais en laboratoire du produit permettant de ne plus faire queue de rat.

Faire queue de rat disparut donc sans que quiconque ne s’en offusque, une fois n’est pas coutume dans l’étrange histoire du langage suranné.

¹ »Mais quand j’pense à Lulu, Là je ne bande plus ». Fernande, Georges Brassens, 1972.
²In Les Tontons flingueurs, 1963.

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