Faire le convoi de Limoges [fèr le kôvwa de limòZ]

Fig. A. Limougeauds faisant le convoi de Limoges, rue des Récollets.

[fèr le kôvwa de limòZ] (loc. géog. POLI.)

Limoges souffre d’une réputation largement usurpée de place équivalant à celle du fondement mondial. Ne parvenant pas à tirer profit d’une position pourtant centrale dans l’hexagone, la cité petitement éloignée de tout s’est peu à peu bâti un statut unique de bourgade démodée.

À grand renfort de porcelaine peinte décorant des assiettes murales pour grands-mères collectionneuses de vaisselle, la préfecture de Haute-Vienne a travaillé cette image. Quel dommage quand on sait qu’elle avait à disposition la plus belle expression surannée d’une politesse exquise pour faire sa réputation : faire le convoi de Limoges.

Faire le convoi de Limoges consiste à raccompagner ses hôtes chez eux après un dîner (à condition qu’ils habitent Limoges, évidemment). Lesquels hôtes, polis et serviables comme on sait l’être à Limoges, ne manqueront pas de vous raccompagner jusque chez vous à leur tour. Et comme vous êtes aussi de Limoges, une fois arrivés vous déciderez de les raccompagner chez eux; car vous avez des principes. Et ainsi de suite, cheminant par les rues limougeaudes, vous faites le convoi de Limoges.

Suivant les routes de l’export de la porcelaine jusqu’au delà de la ligne bleue des Vosges, l’expression faire le convoi de Limoges se répand un peu partout en France, preuve de l’influence possible d’un comportement fort civil. Ainsi, de Lille à Cannes, de Bordeaux à Strasbourg, de Brest à Montpellier, se met-on à faire le convoi de Limoges. La France entière est alors d’une obligeance sans pareil.

Ce succès – il faut bien l’admettre un peu fatigant après deux allers-retours – conduira faire le convoi de Limoges à devenir synonyme d’obséquiosité, et donc à abîmer un peu plus le nom de la cité transformé en 1914 par les grâces du Maréchal Joffre en un verbe signifiant se faire virer.

Prise entre ces deux feux, la ville ne conservera que le verbe limoger et faire le convoi de Limoges disparaîtra du paysage linguistique, rejoignant les pages des expressions surannées.

Plutôt qu’être la capitale de la politesse et du savoir-vivre, Limoges acquerra cette triste réputation de mouroir des ambitions professionnelles et concomitamment, de trou du cul du monde (ce qui est un qualificatif bien peu urbain et un bien cruel destin).

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