Tailler un costard [tajé ê kòstar]

Tailler un costard

Fig. A. Tailleur de costard à l’ouvrage. Gravure XVIIᵉ.

[tajé ê kòstar] (gr. verb. TAILL.)

Qu’on ne se méprenne pas sur des temps passés qu’une certaine nostalgie malvenue ferait passer pour merveilleux : les années surannées regorgeaient elles aussi de ragots et médisances colportés par d’amères mégères.

De leur activité persifleuse il était commun de suggérer qu’elle s’apparentait au travail méticuleux du tailleur du Sentier, soulignant ainsi la précision apportée à la tâche. Car tailler un costard c’est bien le faire sur-mesure.

Pas question ici de prêt-à-porter coupé à l’emporte-pièce, de coutures approximatives, de boutons mal choisis, ou de quelque faute de goût sur un revers trop grand ou trop petit. Quand on taille un costard on habille pour l’hiver, avec des mots choisis comme des tissus nobles.

Tailler un costard est évidemment hérité des fastes de la cour de Louis XIV, le costume imposant le pouvoir et tenant la plèbe à distance. C’est d’ailleurs en cour que l’on taille les costards les plus beaux, le supposé puissant ne supportant guère qu’un trublion ambitieux vienne contester son ramage.

« Audacter calumniare, semper aliquid haeret »

Tailler un costard n’aurait donc pu trouver asile dans une autre langue que celle des Français, eux seuls regroupant les qualités nécessaires à son épanouissement : élégance, morgue, dédain, mépris, faux-culerie, goût exacerbé pour l’intrigue, etc.

Depuis le XVIIᵉ siècle, on taille des costards avec gourmandise et perfidie, cancanant à qui mieux mieux : audacter calumniare, semper aliquid haeret, comme l’avait théorisé Francis Bacon dans son traité De la dignité et de l’accroissement des sciences, déjà un siècle plus tôt.

Ce véritable art des coupeurs, saladeurs, apiéceurs, culottiers, giletiers et boutoniéristes tombera en désuétude à l’orée de l’ère moderne et de son fourre-tout prêt-à-porter made in là-bas où c’est pas cher.

Tailler un costard disparaîtra en surannéité, laissant la place à la rosserie sans fard et au crachat vulgaire asséné engoncé dans des frusques du même acabit. Le corbeau coasse désormais en Dolce Gabbana. C’est moche.

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